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15 septembre 2004

Simon Liberati par Sebastien Le Fol

Liberati, si !

SÉBASTIEN LE FOL
[11 septembre 2004] Le Figaro littéraire

Nous n'en avons pas fini avec les années 70. Face A : Giscard, les films de Sautet, Claude François. Face B : Warhol, le pop art, le Palace et maintenant Simon Liberati. Quarante ans et des poussières, une vraie gueule, le nouveau poulain de Frédéric Beigbeder débarque sur la scène littéraire à la manière d'un McEnroe montant au filet. Grâce, souplesse, percussion : du bel art. Il n'y a pas grand-chose à reprocher à son premier roman. Anthologie des apparitions est, de la première à la dernière page, un désenchantement enchanteur. On ne manquera pas de le comparer à Jean-Jacques Schuhl et à son Ingrid Caven. Les deux auteurs nagent dans les mêmes eaux troubles, mais pas dans le même bassin. Chez Schuhl, on croisait Yves Saint Laurent, Jean-Pierre Rassam et Jean Eustache. La faune liberatienne est beaucoup plus bas de gamme : Libanais à Mercedes, papillons de nuit d'Ibiza, employée d'agence d'intérim... C'est le côté Jean Lorrain de l'auteur : travestissement, zombies ethérés et Prisunic. La littérature décadente de la fin du XIXe siècle fait son grand retour. Relisons d'urgence Jean de Tinan, le Sar Peladan, Rachilde, Robert de Montesquiou. Ils parlent de notre époque.

Emboîtant la plume de ces princes du décadentisme, Simon Liberati parle dans son livre de la nécessité des illusions, du marchandage des corps et de la puissance luciférienne de la beauté. Les deux adolescents, Claude et Marina, dont il nous conte la descente aux enfers, arborent le visage de la grâce cernée. L'argent facile, les substances illicites et les paillettes ont fait d'eux des oiseaux de proie que les rapaces fortunés aiment à exhiber dans les lieux chics. «Tous les deux, ils avaient voulu vivre comme dans les années 20 ou dans les films métaphysiques italiens des années 60 : Antonioni, Fellini et compagnie. Mais comme ils n'avaient pas les moyens : toute la douceur de vivre, toutes les notte qu'ils avaient connues, c'était par la tangente, par l'embrouille ou tout simplement au prix de largesses intimes.»

Claude et Marina se rêvaient en personnages de la Dolce Vita. Leur destin va basculer dans le Satyricon.

Bien des années après, Claude se remémore cette époque. L'âme cabossée, ses souvenirs et la Vie de Rancé de Chateaubriand lui servent de béquille mentale. Dans son décor intime, les allocations familiales du XIXe arrondissement se sont substitués à l'Elysée-Matignon. Fin de partie. Marina s'est volatilisée depuis longtemps, après lui avoir adressé une carte postale représentant Jane Mansfield et ses enfants avec des lions. Un faire-part de décès ?

Simon Liberati promène sa plume nonchalante et précise d'une époque à l'autre, saisit les fantômes au vol pour les immortaliser d'un trait définitif : «Elle avait la coupe de cheveux de Lady Di, le T-shirt imprimé panthère à bords coupés à cru, best-seller des jeaneries espagnoles cette année-là, un jupon long qui sentait son marché à touristes d'Ibiza, et une paire de bottes western blanches qui n'auraient pas déparé la panoplie d'Indra ou de Pia Zadora, chanteuses dont elle pouvait posséder encore quelque maxi 45 tours dans un placard de sa chambre d'enfant à Düsseldorf.»

Pas dupe des excès qu'il décrit, sans complaisance avec ses diablotins, sarcastique quand il le faut, Simon Liberati use à merveille d'un double registre, l'esthétisme et le moralisme. Les enfants de 68 ont trouvé leur Chamfort.

Anthologie des apparitions de Simon Liberati.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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