Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Propos insignifiants
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 196 537
19 septembre 2004

Benoît Duteurtre par Sébastien Lapaque

Benoît Duteurtre, c'est un peu notre Molière. Même ironie, même capacité à épingler le grotesque de son époque, même capacité à irriter la vanité des cagots. Du siècle de Louis le Grand à nos jours, la matière ne manque pas. Tartufe, aujourd'hui, promène son teint frais et sa bouche vermeille sur les plateaux de télévision, les bourgeois gentilshommes vont acheter leur baguette au coin de la rue en 4 X 4, et les précieuses ridicules publient des romans truffés de jargon psychanalytique. Pour avoir outragé ces farfelus en mettant de son côté les rieurs, M. Duteurtre a naguère essuyé les accusations d'une nouvelle cabale des dévots. Les Longues Figures d'aujourd'hui, aussi tristes que celle de la Compagnie du Saint-Sacrement autrefois, lui ont intenté un procès en sorcellerie, qui était de pure mauvaise foi. Il faut dire que l'insolent jeune homme, non content de s'être fait remarquer en disant sa passion pour l'accordéon et l'opérette, avait eu le toupet de sonner le glas de l'avant-garde musicale en moquant Pierre Boulez. Une reductio ad hitlerum de l'impertinent s'en est ensuivie immédiatement. Qui est comique est cynique, qui est cynique est réactionnaire, qui est réactionnaire est nazi. C'est bien connu. C'est, en tout cas ce qu'on a pu lire entre les lignes, dans les colonnes d'un certain quotidien du soir.

Les petits marquis d'aujourd'hui valent ceux d'hier : ils ont toujours des gens pour faire donner le bâton à l'effrontée roture. Ce qui a changé, c'est leur refus d'assumer le pouvoir et la fortune qu'ils se sont assurés sur le front des luttes médiatiques. Les puissants de l'heure se le posent volontiers en «dissidents», en «libertins», en «irréguliers» et revendiquent des engagements sans cesse plus «provocateurs», «dérangeants», «subversifs». Nous vivons une époque étrange où c'est le centre qui part à l'assaut de la périphérie, les élites qui se révoltent contre le peuple, le discours dominant qui règle les discours dissidents.

Dans une série d'essais flamboyants, Philippe Muray a disséqué le fonctionnement de cet «Empire du Bien» caractérisé par la «provocation en paquet-cadeau», la «subversion sous subvention», «le terrorisme du coeur» et la «bonne parole caoutchouteuse». M. Duteurtre prolonge son travail d'analyse sur le terrain de la fiction. Une louable ambition. La critique sociale s'accomplit dans la fable d'époque où tant de caractères remarquables sont résumés en quelques personnages.

La Rebelle, c'est Éliane Brun, une présentatrice de télévision au progressisme dopé à la bonne conscience. «Elle éprouvait de la sympathie pour les immigrés, les rappeurs, les acteurs, les boxeurs, les délinquants.» Pour avoir mis un peu d'eau dans le gros rouge de son adolescence gauchiste à mesure que s'arrondissaient ses revenus, Éliane Brun n'en est pas moins restée une journaliste engagée, attentive aux luttes des femmes, des jeunes, des minorités, etc. Elle se croit à l'abri de toute tentative de récupération par une économie de marché complaisamment haïe. La malheureuse ressemble à ces altermondialistes naïfs, qui ont lu Naomi Klein, mais pas Antonio Gramsci. Elle ne mesure pas la puissance d'intégration culturelle du capitalisme. M. Duteurtre met en scène sur le mode de la satire. L'écrivain a l'inspiration fertile et le don d'inventer des personnages loufoques. Un patron qui n'a que les mots «jeunesse», «imagination», «mouvement» à la bouche ; un aristocrate désargenté qui veut se refaire en vendant des «fermes éoliennes» génératrices d'«électricité propre» aux élus locaux ; un jeune homosexuel accablé par les moeurs de la tribu gay, qui convoite un vertueux destin de père de famille... Le romancier prend un malin plaisir à mettre en évidence les contradictions qui minent la vie des uns et des autres. A Paris, à Capri et ailleurs, on sent qu'il a travaillé sur le motif. Mais son livre n'a rien d'un récit à clefs. L'imagination accomplit son travail de réappropriation. Et l'auteur croit fermement au pouvoir du roman, aux vertus du regard de l'artiste. Abandonnant la dénonciation aux dévots de la cabale, il a trouvé le moyen de combattre l'insignifiance du moment où nous sommes. Il se contente de la montrer.Et c'est efficace.

Sébastien Lapaque, Le Figaro littéraire du 2 septembre 2004

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog