Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Propos insignifiants
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 196 535
29 octobre 2004

Rinaldi répond à Enthoven

Notre académicien en profite pour enfoncer de nouveau Philip Roth.

Sous le signe de la balance

PAR ANGELO RINALDI, de l'Académie française
[26 août 2004] (Le Figaro littéraire)

Pour le lecteur qui veut bien m'accorder ici un brin de l'attention qu'il me concéda ailleurs par le passé, de deux choses l'une: ou bien M. Enthoven est un menteur, ou bien, intellectuellement, il est un imbécile, le cumul ayant été quelquefois observé. Mais là n'est pas le plus important. Il est dans le procédé, et une sorte de miracle: M. Enthoven n'a jamais montré autant d'agilité que dans l'insinuation qu'il se permet aujourd'hui, l'ondoiement, la reptation de la couleuvre sur la mousse, la pesée des mots qui éviteront de répondre au magistrat français toujours pointilleux quant au respect de l'intimité du citoyen.

C'est donc le murmure de Basile que l'on entend. C'est, sur le seuil du cabaret louche – lorsque passe le commissaire en tournée –, le bourdonnement de la balance, aux lèvres presque fermées, l'œil vissé au comptoir où boivent, avec insouciance, les amis qui seront désignés par un haussement de sourcils. Qu'il se rassure, Enthoven l'Iscariote, il l'aura, son condé pour son «petit commerce», et du crédit à cette auberge de gauche où, dans notre jeunesse, je le connus comme un garçon d'étage au service littéraire. Il l'aura... Mais s'il se figure m'atteindre d'après ce qu'il suppose de ma vie privée, il se trompe. Il n'est pas de force. Il le serait, on aurait eu un romancier. Et il y a beau temps que le cuir, à cet endroit, m'a été tanné par ce racisme ordinaire, dont le petit marquis de l'édition ravive les senteurs déjà fortes, dans l'atmosphère actuelle, en brisant des boules puantes entre ses doigts où la trace du cambouis paternel se prend pour la tache de lady Macbeth. Peut-être le lecteur, parvenu jusqu'à cette ligne, estimera-t-il que c'est beaucoup donner à un obscur qui va retomber dans la trappe, en lui accordant un peu de la lumière d'une matinée d'août à Paris, où, le long des boulevards, les corps des deux sexes demeurent assez dévêtus pour la joie des yeux qui n'ont plus vingt ans...

Qu'il pardonne, l'abonné, et veuille bien comprendre que si je suis l'«intégriste» que l'on dénonce, ce sera quand même de ma part une forme de charité chrétienne. Elle est assortie de vœux pour que M. Enthoven trouve une gloire plus durable que Le Figaro d'un jour, dans un domaine où il ferait merveille, non pas celui du marqueur de bétail ou du tatoueur de chiffres sur l'avant-bras, mais celui des Ponts et Chaussées. Au sein des équipes qui installent sur le bitume d'immenses triangles de métal peints en rose afin de prévenir que l'on court le risque d'un accident à suivre ce chemin. Est-ce fortuitement qu'une remarque de Cocteau me traverse l'esprit? «La lettre anonyme est toujours signée, observait-il sous l'Occupation. La lettre anonyme est un genre!» Néanmoins, le berger ne doit plus s'attarder dans la réflexion. Il est au moment de commettre une faute professionnelle qui s'ajoutera à d'autres inscriptions à son dossier chez les gendarmes, où il n'a pas bonne réputation: il a laissé une chèvre brouter l'herbe qui, à l'origine, était destinée à un vieux bouc, et manger de l'espace. A franchement parler, M. Roth n'en a pas besoin de beaucoup, pour le compte rendu de trois ouvrages où il ressemble à lui-même. Et jusqu'au bout, à le lire, on éprouvera l'impression de passer l'après-midi au zoo, devant la cage des singes. Nul n'ignore que ces malicieuses bêtes, affranchies du péché originel, s'adonnent, en toute innocence, à une lubricité de chaque instant, à toutes sortes de gambades qui intéressent le vétérinaire. M. Roth en prête d'identiques au professeur vieillissant qui est son masque, et qui devient l'amant d'une jeune Cubaine.

Elle a des duchesses parmi ses ascendants en Espagne. Quel snobisme, quand une vicomtesse eut bien contenté le tout venant. Dans la passion, le professeur boit le sang de sa maîtresse, chaque mois, ce qui lui est vivement reproché par un comparse, comme la «perte de toute indépendance critique». On allait le dire avant de noter que dans la surenchère, faute de style, on oscille toujours entre le graveleux et le burlesque. La nouvelle traduction d'un précédent roman n'appelle pas un commentaire qui soit en désaccord avec un jugement déjà énoncé: du naturalisme à l'ancienne, mâtiné de reportages à travers le monde, et l'appel au drame d'Israël pour soutenir des personnages et une narration qui flageolent.

On eût aimé sauver Parlons travail. A première vue, il paraissait promettre l'équivalent des conseils de Flaubert à Louise Colet, qui, d'ailleurs, ne les suivait pas, et nous avons tous bien besoin de lumières et de leçons dans nos ténèbres. Mais de ses conversations avec des créateurs qui l'éclipsent sans peine, en particulier Aharon Appelfeld, que nous sommes à la veille de découvrir grâce à Clémence Boulouque, M. Roth ne rapporte que des platitudes. Par bonheur, il est de plain-pied avec M. Milan Kundera: enchantés d'eux-mêmes au-delà du raisonnable, les deux hommes s'entradmirent et se congratulent avec de mutuelles révérences à la Versailles devant la porte qu'ils franchissent bras dessus, bras dessous, contents l'un de l'autre et de l'univers qui les applaudit. Boulevard Bourdon, Bouvard dialogue avec Pécuchet, encore que ces deux-là, malgré leur bêtise, soient plutôt sympathiques, en auteurs involontaires de saynètes qui continuent d'amuser.

Trois livres de Philip Roth parus chez Gallimard :
La Contrevie, 404 p. , 29 €.
La Bête qui meurt, 136 p. , 14,50.
Parlons travail, 186 p. , 16,50 €.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog