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1 novembre 2004

C'était nous

L'un a aimé, l'autre non. Ils ont lu le même livre.

C'était nous
de Laurent Joffrin

Par Sébastien LAPAQUE
[28 octobre 2004] (Le Figaro Littéraire)

Par quoi commencer ? Par l'indigence du fond, ou par celle de la forme ? Les dialogues, cousus de «putain», «connerie» et «salaud» sont accablants de niaiserie. Les réflexions mises dans la bouche des personnages, invraisemblables. «Ils sont un peu extrémistes, tout de même», se désole un personnage, à la sortie d'une assemblée générale maoïste en avril 1968. Quant aux effets de style, que l'on en juge : «A neuf heures retentit la ligne de l'Élysée, métallique»...


Comme tant d'autres avant lui, Laurent Joffrin a voulu gratter la corde usée de la nostalgie, en racontant l'histoire de trois anciens gauchistes devenus des notables. On connaît l'histoire, c'est le destin d'une génération. Cet improbable «Clan des Trois», est confronté à son passé militant au moment où il s'y attend le moins. Pierre Chaumont est devenu directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy, à Matignon, Alexis de Ségnac est journaliste à Libération, William Bensoussan dirige une entreprise d'informatique.


Ils se sont enrichis, assagis, arrondis : les années de poudre sont loin derrière eux. Elles ressurgissent dans leur vie par l'intermédiaire de Claire, une camarade dont ils étaient tous amoureux à dix-sept ans. Après vingt ans d'absence, Claire est de retour, ruminant une vengeance à laquelle la police semble s'intéresser de près.


Mais l'époque est loin où Ribouldingue, Filochard et Croquignol rêvaient d'armer les masses du désir de s'armer. C'est la panique chez nos trois quadras, pépères et prospères retraités de l'utopie. «Pierre a des relations. William a du temps et de l'argent. Je suis journaliste», explique Alexis. Les anciens gauchistes passés de la Cause du Peuple au Financial Times, se reconnaissent à ce contentement de soi. M. Joffrin, qui les fait parler comme ceux qu'il fréquente au Nouvel Observateur et ailleurs, ne mesure pas à quel point ils sont ridicules. Mais comment serait-il juge et partie ?


Ainsi se fabrique un roman à l'usage des seniors, qui ont tourné leurs yeux vers la Californie, après avoir rêvé de changer la vie, C'était nous délaye les uns après les autres dans l'eau tiède tous les poncifs d'une «génération lyrique», dont François Ricard a subtilement éclairé les contradictions et les trahisons (1).


Une intéressante matière sociologique, mais rien de très romanesque. L'épopée gauchiste et les événements de Mai 1968 auront décidément suscité beaucoup de mauvaise prose, qui est une variante de la littérature «signe de pistes». Seuls Frédéric H. Fajardie, dans Jeunes Femmes rouges toujours plus belles, et Jean Rolin, dans L'Organisation, ont su tirer leur épingle du jeu. Celui-ci parce qu'il a su trouver une distance ironique à son objet, composant une manière de «Candide chez les Maos», celui-là parce qu'il a gardé la rage au ventre.


Le malheureux Joffrin, qui mêle quelques éléments autobiographiques à des événements qui appartiennent désormais au domaine public, ne possède ni cette ironie ni cette rage. Seul aspect ludique de son livre, le petit erratum glissé dans les exemplaires du premier tirage. «Une erreur s'est glissée dans le texte du chapitre vingt-deux, page 169. Il faut lire : «Adieu de Gaulle» et non «Adrien de Gaulle». Dommage. Cet intitulé erroné nous avait mis l'eau à la bouche. Nous connaissions un Henri de Gaulle, le père, un Philippe, le fils, mais nous nous interrogions sur ce mystérieux «Adrien» apparaissant le «30 mai 1968». Un fils caché du Général faisant le coup de poing contre les CRS avec les gauchistes ? Une enfant de l'adultère dressant des barricades et incendiant les voitures rue Gay-Lussac ?


Avec un tel personnage apparaissant dans le dernier quart, le plat roman de Laurent Joffrin aurait décollé. Il aurait simplement fallu changer le titre. Non plus C'était nous, mais C'était lui. Adrien de Gaulle, le bâtard du Connétable conçu avec une aristocrate anglaise, né à Londres, au début de l'année 1944. Lecteur de Marx, il serait passé en France lors du déclenchement des premières émeutes de 1968 pour faire payer sa dette à son géniteur. Il aurait juré d'aller jusqu'à lui. La mystérieuse fuite à Baden-Baden aurait soudain pris un sens... Mais, pour nous raconter une telle histoire, il eût fallu à Laurent Joffrin un peu d'imagination. Celle d'un romancier....

(1) La Génération lyrique, Climats, 2001.

Mai 68 : hommage et dommages

Jean-Christophe BUISSON
[29 octobre 2004] Le Figaro Magazine

Ils sont passés sans complexe du col Mao au Rotary et de l'antigaullisme de rue à l'antimondialisation de salon (dîner bio, musique Björk), ne chantent plus que la révolution numérique et mènent désormais leur vie à un train de sénateur. Ils ont entre 55 et 65 ans, détiennent le pouvoir - qu'ils ne comptent pas lâcher à leur tour -, pleurent sur cette mythique école républicaine mise à mal par leurs propres slogans, voilà trente-cinq ans, et montrent un peu leurs crocs jaunis par le temps et les herbes chaque fois qu'un «petit con» né en mai 68 s'avise de tourner en ridicule le culte idiot de leurs années de jeunesse. Autant dire que la publication d'un livre écrit par le directeur de la rédaction du Nouvel Observateur sur le sujet, fût-il estampillé roman, laissait augurer du pire. Photos de couverture montrant des voitures renversées sur les boulevards dépavés du Quartier latin et la cour de la Sorbonne où l'ébullition hystérique a remplacé l'érudition historique, titre sans équivoque apparente (C'était nous) : il ne restait plus qu'à attraper la queue et les oreilles de ce patron de presse quinquagénaire mué en animal égaré dans l'arène des mélancolies ennuyeuses.


Quatre heures plus tard : malaise. L'habileté romanesque dont fait preuve l'auteur nous oblige à ranger nos piques et à lever le pouce. L'histoire est belle, le style vivant mais sobre, les personnages attachants dans leurs souffrances. Un roman de génération où les lignes bougent sans cesse et où les certitudes sont méthodiquement broyées par une construction narrative aussi compliquée que séduisante.


L'affaire se passe en 1993. Trois anciens camarades des barricades reconvertis qui dans la grande presse (Libération), qui dans les affaires, qui dans un cabinet ministériel, voient resurgir dans leur vie celle par qui le malheur arrive : Claire Sutherland. Netchaieva est de retour ! Jadis suspectée de complicité de tentative de meurtre après l'enlèvement d'un cadre de Berliet par un groupe maoïste auquel elle appartenait, elle a disparu pendant vingt ans sans laisser de trace, sinon le souvenir d'une jeune fille aimée pour qui la lutte armée n'était pas un vain mot. Quand la gauchiste réapparaît dans la vie de Pierre, membre du cabinet d'un Premier ministre socialiste accusée d'affairisme, c'est pour demander son aide au nom d'une vieille valeur de droite : la fidélité. Problème : pour la police, elle est liée à un mouvement terroriste décidé à abattre le chef du gouvernement.


Au-delà du dilemme moral de Pierre, c'est un bilan cruel que se voient contraints d'effectuer les trois amis. Qu'avons-nous fait de notre jeunesse ? Et plus encore : qu'avons-nous fait des ami(e)s de notre jeunesse qui sont allés, eux, elles, au bout de nos idées et de nos cris de guerre ? Cette Claire, notamment, fille de résistante qui a découvert dans Dumas (Alexandre, pas Roland) l'envie d'agir...


Le sujet n'est pas nouveau, mais il aura rarement été traité avec autant de finesse et d'esprit de synthèse. Joffrin est un chirurgien dont le stylo-scalpel fouille jusqu'aux tréfonds les âmes de ses contemporains. C'est douloureux et vivifiant à la fois. L'histoire finira mal parce que ce roman de gauche est au fond un livre de droite : ni moral ni cérébral - encore moins pleurnichard. On devine que les héros ont appris le goût de l'action dans les Trois Mousquetaires ou les films de Clint Eastwood et que leur foi n'était pas seulement révolutionnaire. N'est-ce pas une ancienne de la Jeunesse catholique qui les sauva autrefois des bidules de la police gaulliste ? N'est-ce pas dans l'église de Saint-Eustache que se noua et se dénouera le destin de ces trois hommes et de cette femme, vénéneuse malgré elle et à cause d'eux ? C'était nous, c'était eux. Mais cela aurait pu être nous.


C'était nous Roman De Laurent Joffrin.

Commentaires
P
Oimè ! respiro...<br /> J'eusse éprouvé quelque déception à voir apparaître là-dessus une signature estimée.<br /> <br /> En remerciement de la précision, une petie nécro de circonstance : cette vieille canaille d'A.D.G. a ... passé l'arme à gauche (ça doit le rendre malade, bien fait) et France-Info de mentionner le mot superbe de son éditeur à la Série Noire, Patrick Raynal, ancien de la Gauche Prolétarienne : "mieux vaut éditer un auteur réactionnaire qu'un auteur sans talent".<br /> <br /> Tout est dit ! <br /> <br /> Patrice pas si noir (ni si rouge, ni si mort)
D
Les auteurs étaient présents, mais noir sur noir... C'est corrigé.
P
De qui, le second article ? Qui est capable d'écrire, ou se relire, voire de "penser" par-dessous la jambe au point que lui échappent, en un article, une répétition de cette eau : <br /> " Cette Claire, notamment, fille de résistante qui a découvert dans Dumas (Alexandre, pas Roland [RIRES ENREGISTRES]) l'envie d'agir..."<br /> "On devine que les héros ont appris le goût de l'action dans les Trois Mousquetaires..."<br /> <br /> et une contradiction de ce tonneau : <br /> "...demander son aide au nom d'une vieille valeur de droite : la fidélité."<br /> "... au fond un livre de droite : ni moral ni cérébral..." <br /> <br /> ... sans parler du raisonnement foireux final : des signes de "foi", l'intervention ponctuelle d'une JEC ( voire, horresco referens, JOC, faut le lire pour savoir ) et en toile de fond "l'église de [SIC] Saint-Eustache"...?<br /> <br /> Enfin, tout le monde a le droit d'être fatigué en fin de semaine... ou tôt dans le siècle !<br /> <br /> Patrice, Critique de la critique ou ce qu'en pense Marianne
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  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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