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8 décembre 2004

L'Armée rouge au fond du jardin

L'Armée rouge au fond du jardin
de Clémence de Biéville

Par François Cérésa
[02 décembre 2004]


L'Armée rouge au fond du jardin, de Clémence de Biéville, Grasset, 122 p., 11 €.   

Le Figaro littéraire

L'avantage avec les livres légers, c'est qu'ils ne pèsent pas sur l'estomac. A peine avalés, les voilà digérés. Ce sont les radis-beurre de la littérature. En plus, celui de Clémence de Biéville, un nom à nous rappeler «la reine Margot» et «la dame de Monsoreau», est écrit en gros caractères. Au moins du douze, comme le fusil, et plutôt gras, comme le jambon Bellota. Et l'on en a fini avec les comparaisons. L'Armée rouge au fond du jardin n'est pas un livre frivole, ni un livre sur l'effondrement du bloc soviétique. C'est un chaud-froid d'une centaine de pages, un récit autobiographique où Mlle de Biéville n'a pas pour elle-même la clémence de Titus, ce que l'on pourrait considérer comme un jeu de mot mais qui n'en est pas un.

Il y a un petit frère mort-né, des silences peuplés d'ombres, des présences évanouies, des souvenirs parpaillots, et surtout des parents aimés, trop aimés peut-être, morts prématurément, auréolés de tendresse et d'originalité, sans compter le mystère.

Les parents, on ne sait jamais qui ils sont vraiment. On ne se pose même pas la question. C'est plus tard, beaucoup plus tard, qu'on finit par apprendre. Et parfois par savoir. Il faut attendre de perdre les êtres aimés pour s'apercevoir qu'on les aimait vraiment et qu'on ne le leur a pas suffisamment dit de leur vivant. Le regret est souvent le parfum du malentendu. Comme Mlle de Biéville, on fait la révérence. On garde la triste manie d'être ponctuel et, finalement, c'est une bonne manie. Bref, on suit la famille de Biéville en Suisse, à Venise, comme sur les traces du comte de Provence pendant la Révolution.

Dans un style dépouillé à l'extrême, parfois un peu trop sec, l'auteur, pour sa part, avoue et n'avoue pas les secrets de cette enfance où la mère se déguisait en fée, où le père – par quel tour de passe-passe ? –, avait un faible pour les garçons. On se souvient des sagas de Mazo de la Roche, du Christmas pudding, de quelques vers d'Apollinaire. Tout passe et repasse. Mlle de Biéville ne s'épanche pas, elle se penche sur le passé. Des étés avec Enid Blyton et Paul d'Ivoi, des hivers de canasta et d'inachevé. Tout cela sous forme d'instantanés. Elle ne s'attarde jamais, ce qui est à la fois chic et superficiel. Il y a dans cet art du fugace quelques toccatas qui eussent mérité un peu plus de développement.

A l'instar des pessimistes, Clémence se félicite de ne pas avoir à transmettre de gène, de croyances ou de fantômes. Avoir des enfants, c'est créer un destin de mort, disait Cioran. On referme ce livre avec un peu d'amertume. Comme dans la chanson, où la mer efface sur le sable le pas des amants désunis. Ici, il ne s'agit pas d'amants. Mais de parents. Ceux qui nous ont faits pour qu'on les juge. Le livre que l'on croyait léger prend tout à coup du poids. Trop tard ?

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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