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6 janvier 2005

Une belle canaille

de Wilkie Collins

Par Christophe MERCIER
[06 janvier 2005]


Une belle canaille, de Wilkie Collins, traduit de l'anglais par Eric Chedaille, Phébus, 180 p., 14,5 €. 

Le Figaro Littéraire

A la grande époque de l'ORTF, un feuilleton de prestige offrit plusieurs soirées haletantes aux téléspectateurs du temps du général de Gaulle, un siècle après que le roman dont il était adapté eut tenu en haleine ses lecteurs, sujets de la reine Victoria. Il contenait tous les ingrédients des grands suspenses : secrets de famille, disparitions mystérieuses, folie – sans compter un titre fleurant le fantastique : La Dame en blanc.

La Dame en blanc est le roman le plus célèbre (sur les 23 qu'il a publiés) d'un des écrivains anglais les plus lus de son époque, Wilkie Collins. Traduit en France de son vivant (c'est d'ailleurs dans La Revue des deux mondes que fut publié, en 1855, le premier article de fond consacré à son oeuvre, 34 pages, rien de moins), Collins avait peu à peu disparu des librairies, avant que plusieurs éditeurs (notamment Phébus et Terres de Brume) ne reprennent les choses en main, et ne donnent de ses plus grands livres des traductions complètes et fiables. Le succès ne s'est pas fait attendre, et gageons qu'aujourd'hui Collins est, chez nous, plus lu que son maître et ami Dickens, ce qui est quand même un comble !

Depuis la première biographie qui lui a été consacrée (1988), et la publication de sa correspondance, on connaît maintenant sa vie, longtemps aussi secrète que les plus secrets de ses romans.

Fils d'un peintre paysagiste fameux, William Wilkie Collins naît à Londres en 1824. Il fréquente une école privée qui lui évoque le bagne, et se trouve un temps condamné par son intraitable père qui estime que la littérature, ce n'est pas un métier, à travailler dans une fabrique de thé !

A la mort dudit père, et après qu'il en eut, suivant une étrange disposition testamentaire, écrit la biographie (ce sera son premier livre, publié à compte d'auteur en 1848), Collins regagne la maison familiale, où il vit entre sa mère et son jeune frère. En 1851, il fait la connaissance de Dickens, de douze ans son aîné.

Collins n'a jusqu'alors publié qu'un premier roman, Antonina, ou la chute de Rome (1850), peu typique de son talent. Mais dès Basil (1852) il trouve son univers et sa manière : il s'agit de démasquer les hypocrisies de la société victorienne, d'en dévoiler les tares, sous une forme nouvelle, celle du roman «policier», dont il est tenu outre-Manche pour l'inventeur.

Dickens dit son admiration pour Basil et invite Collins à publier dans ses revues, All the Year Round et Household Words. Le génie a besoin d'admiration et de copie, et n'est pas mécontent de trouver un jeune admirateur doué, prêt à écrire pour lui, et à le suivre dans ses voyages à travers l'Europe.

Un soir de 1855, dans le brouillard de Londres, le romancier est attiré par des cris. Il voit sortir d'une maison sombre une forme blanche, une femme en détresse. C'est Caroline Graves, qui se prétend enfermée par son mari dément. Collins en fera sa compagne, élèvera sa fille, et s'en inspirera pour La Dame en blanc. Ce qui n'empêchera pas l'écrivain, quelques années plus tard, d'avoir trois enfants de Martha Rudd, une ouvrière devenue sa gouvernante, et de conduire, au nez et à la barbe des défenseurs des bonnes moeurs, un ménage à trois qui durera jusqu'à la trahison de Caroline.

La Dame en blanc obtint un succès tel que, paraît-il, Dickens lui-même en aurait été rendu jaloux. On constate le succès, mais on peut douter de la jalousie de l'auteur de Bleak House, qui bénéficiait largement lui aussi de l'engouement de toutes les classes du public.

Suivront plusieurs romans, dont Pierre de Lune (1868), porté aux nues par Borgès. Puis la carrière de Collins semble décliner. En 1870, Dickens meurt. Collins passe de mode, se voit accuser d'écrire des «romans à message». Ceux qu'on a pu lire récemment en français (Mari et femme, Seule contre la loi) montrent pourtant qu'il était resté le maître des intrigues minutieusement tricotées, des points de vue qui se complètent, se recoupent, se contredisent, et du dynamitage en douceur des bienséances de son époque. D'autres titres non traduits (Heart and Science, The Legacy of Cain) suscitent moins d'envie de lecture. Encore faudrait-il juger sur pièce.

Quand Collins meurt, en 1889, c'est le début d'un purgatoire long et injuste, suivi, immanquablement, d'une réhabilitation excessive.

Disons-le franchement : les grands victoriens auquel on l'a comparé, Dickens et Thackeray en tête, n'ont pas à craindre pour leur suprématie. Des deux cents pages inachevées du Mystère d'Edwin Drood, dont on dit que Dickens l'écrivit pour concurrencer son ami dans le domaine du suspense, se dégagent une poésie, un pouvoir de fascination, qui laissent loin derrière les belles machines de Collins.

Quant à la comparaison avec Thackeray, elle tourne court rapidement. Il suffit de lire Une belle canaille (publié en 1856 dans une des revues de Dickens), autobiographie picaresque d'un fils de famille devenu faux-monnayeur par amour : c'est léger, sympathique, souvent amusant, mais on est loin de l'ampleur romanesque, de la cruauté et des ambiguïtés de Barry Lyndon. Cela dit, ce court récit est si différent des grands romans de son auteur qu'on ne saurait le conseiller à qui voudrait aborder son oeuvre.

Mieux vaut commencer par La Dame en blanc, Armadale, Sans nom ou Pierre de lune : là se trouve le grand Collins, inventeur sans pareil d'histoires remplies de chausse-trappes, de trompe-l'oeil, déstabilisant un lecteur qui vacille jusqu'au bout de labyrinthes dont, souvent, même les dernières pages ne le délivrent pas. Collins est le romancier des tremblements fantomatiques, des reflets dans des miroirs ternis. Chez lui, la folie n'est jamais loin, seul moyen pour certains d'échapper au carcan victorien.

A l'inverse de Dickens, il attache moins d'importance à ses personnages qu'à ses intrigues à fonds multiples, qui s'avèrent des mécaniques suscitant des idées de pure poésie romanesque, comme chez Jules Verne ou Agatha Christie (sa fille spirituelle). La plus baroque d'entre elles se trouve sans doute dans Seule contre la loi, où l'enquête progresse grâce à un tas de compost vieux de dix ans, qu'on passe au crible dans l'espoir d'y trouver éventuellement enfouis des fragments d'une lettre qui aurait été écrite et pourrait ouvrir une piste sur le chemin du passé.

Un jour, Dickens et Collins ont imaginé ensemble un court roman, Voie sans issue, si tiraillé entre les aspirations contradictoires des deux écrivains – Dickens porté par ses personnages au gré de l'inspiration, et Collins essayant de mener à bout une intrigue macaronique – qu'il en devient quasiment illisible : preuve par l'absurde de la différence de deux créateurs en lesquels on aurait tort de voir des rivaux. Il faut les lire tous les deux. On constatera que Dickens l'emporte par KO, mais que Collins est un bon challenger...

Commentaires
B
ses romans sont magnifiques, je n'ai pas lu une vieille canaille, pour moi le meilleur est la pierre de lune
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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