Lecture critique
Un essai sur la romancière
Nothomb à la fac
Laureline Amanieux n’est pas une nothombophile comme les autres. Parler d’une prédilection pour Amélie Nothomb, ici, serait faible. En bonne exégète à qui l’on doit déjà de nombreuses études (citons, pour mémoire, une communication sur «l’eucharistie perverse», ainsi qu’une étude sur «l’incipit» du «Sabotage amoureux»), la doctorante n’a pas ménagé ses efforts. Tel Boileau donnant un coup de pouce à Racine, elle a fait ce dont les aficionados, dans leur admiration de béotiens, sont le plus souvent incapables: dresser la statue d’un auteur en le recouvrant des ors des études universitaires.
Si familière soit-elle d’un auteur réputé farouche, le résultat de son investigation est cependant décevant. Trop de sérieux finirait-il par tuer? Telle est l’inquiétude qui étreint le lecteur, au fil des pages d’un essai pléthorique et bavard hésitant entre les ficelles des échotiers (tel propos rapporté du père, vantant la génialité d’une fille à même de comprendre, à 5 ans, une discussion de diplomates), le passage d’Amélie à la moulinette Genette, sans oublier les accablants parallèles visant à faire de l’auteur d’«Antéchrista» l’interprète par excellence d’un Nietzsche ou d’un Kierkegaard.
On rêvait d’une étude qui serait partie de l’autodérision chère à l’auteur, aurait enchaîné, par exemple, sur une veine scatologique trouvant dans «Stupeur et tremblements» ses lettres de noblesse, avant d’aborder l’étrange personnage nothombien: mi-schizo mi-parano, tenant à la fois du dragon (pour les sarcasmes) et de la princesse (pour l’éperdue quête d’amour d’un cœur pur), de Jeanne d’Arc (pour les voix) et de Peter Pan (pour l’anorexie mentale et le refus de grandir). Faute de quoi, le lecteur a droit à des considérations empesées sur «la limite du dicible», «la balance passif-actif» et autre pratique de «l’intransitivité verbale»… Dans son repérage des thèmes de «l’ennemi extérieur» et de «l’ennemi intérieur», il est un scénario que Laureline Amanieux n’avait pas prévu: celui d’une Amélie Nothomb littéralement achevée, ainsi que son lecteur, par son hagiographe.
«Amélie Nothomb, l’éternelle affamée», par Laureline Amanieux, Albin Michel, 368 p., 18,50 euros.
Thomas Regnier (Le Nouvel Observateur du 12 janvier 2005)