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21 mars 2005

Impact contre le diable

A propos de l'amitié Gide-Schiffrin, entretien croisé André Schiffrin et Alban Cerisier

Impact contre le diable

Fils unique de Jacques et de Simone Schiffrin, André Schiffrin est né à Paris en 1935. Réfugié aux Etats-Unis avec ses parents, il deviendra éditeur comme son père, puis écrivain. Fondateur de The New Press – maison d'édition à but non lucratif, André Schiffrin publie ces jours-ci une description de la scène éditoriale française : Le Contrôle de la parole (La Fabrique). C'est lui qui a fourni la majeure partie des lettres échangées entre son père et Gide. Il est aussi l'auteur de la préface. Quant à Alban Cerisier, l'autre acteur essentiel de cette Correspondance, éditeur-archiviste chez Gallimard, il commente, lui aussi, cet événement majeur.

Propos recueillis par A. G.
[17 mars 2005]

LE FIGARO LITTÉRAIRE. – Que pensez-vous de la lettre de Jacques Schiffrin que nous avons choisi de publier (voir ci-contre) ?

André SCHIFFRIN. – Mon père pressentit le scandale qu'allait provoquer le revirement de Gide. Retour de l'URSS eut un formidable impact, non seulement en France, mais dans le monde entier. A un moment où l'on ne pouvait qu'être prorusse, ou fasciste, la dénonciation de l'aspect totalitaire du régime soviétique, et de l'impasse où se trouvait ce régime par Gide, fit l'effet d'une bombe. André Malraux, qui partageait les inquiétudes de mon père quant aux conséquences qu'allait entraîner cette parution en pleine guerre d'Espagne, écrivit d'ailleurs à Gide pour le prier de retarder la publication.

Alban CERISIER. – Jacques Schiffrin avait un sens de l'Histoire extrêmement fort, qui était sans doute lié à sa double appartenance. Son angoisse est perceptible. Lucide, il perçoit la portée d'un texte anticommuniste signé par Gide. Des dénonciations de Staline s'étaient déjà produites – l'un des premiers intellectuels à se «désengager», avant Paul Nizan, avant Sartre, fut Brice Parain, éditeur, philosophe, «passeur» de littérature russe, chroniqueur à L'Humanité et communiste radical. Mais que Gide affichât soudain son désengagement fera l'effet d'une bombe. Jacques Schiffrin s'inquiète des conséquences du revirement gidien dans le climat d'agitation de l'époque. Pour mesurer la portée de cette parution, il suffit de consulter le site de l'Association des amis d'André Gide (NDLR : www.gidiana. net).

Que vous inspire l'amitié indéfectible qui lia toute sa vie votre père à André Gide?

André SCHIFFRIN. – «Cette profonde amitié naquit d'une estime mutuelle, renforcée jour après jour par un patient travail de recherche et de mise en valeur d'une littérature russe que Gide et mon père chérissaient également. Perfectionnistes, Jacques Schiffrin et André Gide partageaient le même amour du style. Ils pouvaient passer des semaines à peaufiner tel passage d'un manuscrit ou la correction des épreuves. Leur similitude de vues sur à peu près tout fit le reste. L'estime du début se renforça, débordant le cadre professionnel, pour tisser entre eux un lien complexe et fondamental qui dura toute leur vie. Dès qu'il fut démobilisé, mon père réalisa le danger qui nous menaçait en tant que Juifs. Bien que Gide n'en mesurât pas l'ampleur – ce que prouve cette correspondance –, il fit tout pour aider mon père à fuir les nazis. Ecarté de Gallimard à cause du «statut des Juifs» en 1940, mon père se retrouva sans ressources, ses biens ayant été confisqués. André Gide réunit la somme nécessaire à notre départ pour New York, prêtant à mon père cet argent et empruntant ce qui manquait à des amis.

En quoi, selon vous, la parution de cette correspondance fait-elle événement lors d'un Salon du livre consacré à la Russie ?

Alban CERISIER. – Ce rassemblement de documents inédits met en évidence ce travail de «passeurs» de littérature russe réalisé par Jacques Schiffrin et André Gide. S'il existe une littérature russe émigrée en France, c'est parce qu'il y eut des lieux capables de l'accueillir et des conditions favorables pour en mesurer l'importance. Ainsi qu'un éditeur, en l'occurrence Jacques Schiffrin, émigré russe et fondateur de la Pléiade, qui décida de promouvoir une collection de classiques russes dès 1923, publiant Pouchkine, Gogol, Leskov, Lermontov et Dostoïevski, entre autres. Gide donna, quant à lui, un cycle de conférences sur Dostoïevski, au Vieux-Colombier à Paris, conférences qui jouèrent un rôle déterminant dans cette «vague russe» qui allait déferler en France. Gide fut l'auteur français qui, en ce début de siècle, travailla le plus à la promotion des classiques russes. Il traduisit certains d'entre eux, tel Pouchkine. C'est à l'occasion de sa traduction de La Dame de pique qu'il rencontra Schiffrin, rencontre qui allait décider d'une amitié «pour toujours». Au-delà de ce que «la correspondance Gide-Schiffrin» révèle de l'oeuvre de Gide, et des conditions d'émergence du Journal, ce livre témoigne d'un axe russe très fort dans la France des années 20. Schiffrin travailla avec Gide écrivain, certes, mais aussi avec Gide traducteur et critique de littérature russe. De nombreux illustrateurs russes s'étant établis en France, l'illustration russe influença la littérature enfantine, tant chez Gallimard que chez Flammarion, avec Le Père Castor, par exemple. Brice Parain et Boris de Schloezer animaient la collection «Jeunes Auteurs russes» chez Gallimard, au moment où Schiffrin publiait à Paris ses classiques russes. Gide, Schiffrin, Parain et Schloezer conjuguèrent si bien leurs efforts qu'à l'aube des années 20, et jusqu'aux années 30, une fenêtre s'ouvrit sur la Russie. Ce fut un moment de grâce pour la présence et le développement de la littérature russe en France.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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