5 juillet 1941
Fier d'être Français... La France, hélas ! depuis des mois, des années, ne nous a guère donné motifs d'être fiers. Par moments on la reconnaît si peu, la France, que c'est à douter si d'abord on ne s'était pas trompé sur elle. Ses qualités, ses vertus les plus belles, les plus rares, elle semble avoir pris à tâche de les renier l'une après l'autre, ou de s'en dessaisir comme d'articles de luxe inserviables ou comme des propriétés qui, par temps de besoin, coûtent trop cher à entretenir. La France que voici n'est plus la France. Où sont ces qualités, ces vertus, qui me faisaient aimer ma patrie ? Si la figure qu'elle fait aujourd'hui dans le monde est son visage véritable, je la renie.
Hélas ! ne peut-on penser que ceux qui la représentaient le mieux, notre France, sont ceux précisément qui moururent dans l'autre guerre. C'est par ce sacrifice des meilleurs que nous nous trouvons aujourd'hui le plus atrocement appauvris. Si ces vaillants d'hier vivaient, ils ne laisseraient pas s'enfoncer, s'avilir et se déprécier la France ; et l'on parlerait moins de l'honneur, parce qu'on ne l'aurait pas perdu.
Journal d'André Gide, 5 juillet 1941.