Comment refuser une invitation.
Paris le 15 avril 1914
Mon cher Gide,
J'ai été bien surpris de votre lettre. Très flatté, aussi. Je ne me serais pas attendu à pareil honneur. Ce dernier mot est peut-être de trop, d'ailleurs. Je ne dois peut-être votre invitation qu'à votre cordialité. Je vais en tout cas bien mal répondre à votre aimable ambassade. J'en suis, pour mes travaux, au même point qu'il y a deux ans, je puis même dire qu'il y a huit ans. Depuis 1906, en effet, je dois donner un livre au Mercure, et je n'ai pas encore pu trouver la centaine ou la cent cinquantaine de soirées de suite dont j'ai besoin pour écrire les deux cents pages de volume que j'ai à écrire. Je laisse de côté les raisons matérielles. Mais j'ai besoin, pour travailler, d'illusion, de bonheur d'esprit. Je ne les ai pas tous les jours, il s'en faut.
Excusez-moi donc. Votre lettre m'a fait plaisir pendant quelques minutes. Je vous en remercie.
Je ne vous ai dit que mon sentiment très sincère à propos de vos Souvenirs de la Cour d'Assises. Cela m'a fait plaisir qu'un homme comme vous s'intéresse à ces choses, et surtout ne craigne pas de montrer qu'il s'y intéresse.
A vous très cordialement.
P.Léautaud
Correspondances de Paul Léautaud, tome 1, 10-18 Flammarion. A noter une préface de Philippe Delerm.