Une amitié littéraire
Françoise Sagan a été l'amie indissociable de l'écrivain disparu vendredi dernier.
Aux yeux de Françoise Sagan, c'était l'écrivain par excellence. Son meilleur ami, avec des brouilles et des retrouvailles qui se fêtent. Bernard Frank était ancré dans le coeur de Sagan, devenue très tôt son port d'attache. Indissociables depuis la parution de Bonjour tristesse, en 1954, ils ont formé pendant des décennies une sorte de couple légendaire fait de tendresse et de fâcheries.
Mais leur amour de la littérature et une étincelante intelligence commune suffisaient à les réunir à nouveau. Écrivant la biographie de Françoise Sagan, j'ai été le témoin de cette amitié précieuse. À chaque déménagement de Françoise, Bernard suivait en bougonnant. Paris, Saint-Tropez, la Normandie. Quand elle était installée rue d'Alésia, dans le XIVe arrondissement, Bernard Frank avait sa chambre au premier étage. « Voulez-vous m'accompagner, me dit Sagan, je vais acheter des rideaux pour Bernard. » Au volant de sa mini Austin, la romancière s'est faufilée dans les embouteillages avant de se garer sur le trottoir devant la boutique. Il fallait aller vite et parer au plus pressé.
Bernard Frank, qui ne conduisait pas et ne circulait qu'en taxi, avait eu le coup de foudre pour cette jeune romancière. Lorsqu'il la rencontra, il eut le sentiment que la vie serait gaie, que cette fille épatante lui promettait des jours heureux. « J'avais l'impression qu'elle cherchait désespérément à ne pas s'ennuyer. Je n'ai jamais pensé beaucoup à notre amitié : elle me semblait une évidence. »
Jean-Claude Lamy, le Figaro, 9 novembre 2006.