Un devant de trop
Après le pont, la voiture tourna à gauche, longeant la voie ferrée et les trains de marchandises abandonnés. A notre droite se profilait un long parc nu, sans un arbre ; au-delà, encore des immeubles en ruine, noirs, muets, leurs façades effondrées dans la rue, ou bien dressées contre le ciel comme un décor. La route contournait la gare, une grande bâtisse d'époque tsariste, autrefois sans doute jaune et blanche ; sur la place, devant, s'amoncelait une confusion de véhicules brûlés, déchiquetés par des impacts directs, formes tordues à peine adoucies par la neige. La voiture s'engagea dans une longue avenue diagonale : le bruit des tirs s'intensifiait, devant, j'apercevais des bouffées de fumée noire, mais je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où pouvait se trouver la ligne de front.
Jonathan Littell, Les Bienveillantes.