On ne se dirige nulle part ; on se heurte partout
L'auteur ne s'épargne pas. On n'est jamais dans la pose. Le livre se joue de ce que l'on espère et de ce qu'il advient ; de ce que l'on devrait être et de ce que l'on se contente d'être. Les plus beaux passages du récit sont consacrés à la mère. Emmanuel Carrère choisit, avec ce livre, d'aller contre ses ordres puisqu'il y révèle tout ce qu'elle veut enfouir. Il lui adresse, à la fin, une lettre magnifique. Il dit nager vers elle comme lorsqu'il était enfant et qu'il apprenait à nager rivé à son regard. Il avait confiance. Mais il a fallu vivre après sans regard extérieur aussi fort. Et comment fait-on lorsque à l'intérieur de soi il fait nuit noire ? On ne se dirige nulle part ; on se heurte partout. Le fils dépose Un roman russe au pied de sa mère. Récit sombre, ouvert, cruel, choquant. Est-ce qu'Hélène Carrère d'Encausse acceptera ce livre sur une vie aux flots battus ? C'est celui d'un fils, non pas rêvé, mais réel. C'est celui de son fils.
Marie-Laure Delorme, Le Magazine littéraire, mars 2007.