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21 septembre 2007

La supériorité de la fiction sur le réel

Dans la peau de Zelda

Gilles Leroy  - La passion destructrice entre Scott Fitzgerald et sa femme, vue par cette dernière. Une fiction plus vraie que l'histoire.

IL FAUT le dire d'emblée, le pari est réussi : Gilles Leroy se met dans la peau de Zelda Sayre. Et cette Américaine - née en 1900, morte à quarante-sept ans - reprend vie. Elle resplendit devant nos yeux, elle crie, elle s'insurge, elle devient folle, elle est pathétique et agaçante, géniale et déprimée. Rarement, un auteur a autant porté en soi son personnage. De plus, Leroy réussit à écrire le roman d'une relation passionnée et désastreuse, qui a produit le couple le plus célèbre de l'histoire littéraire. Zelda et Scott Fitzgerald. On peut dire de ce duo qu'il a inventé le « people » avant le mot.

Alabama Song raconte donc l'histoire de deux célébrités qui ont uni leurs destins. Pour le pire. Tout commence à la manière d'un film « hollywoodien » : celui qui deviendra l'un des plus illustres écrivains américains prend pour épouse une jeune femme de vingt ans, effrontée mais diablement belle. N'a-t-elle pas décroché le titre de Miss Alabama, et n'accorde-t-elle pas quatre rendez-vous galants en même temps ? Mais très vite, tout part en vrille et virevolte jusqu'à l'ivresse : trop d'inimitié, trop d'alcool, trop de jalousie. Au lieu de se soutenir, le couple s'enfonce.

Gilles Leroy épouse complètement la personnalité de Zelda - c'est elle la narratrice -, il voit avec les yeux de cette femme, pense avec son coeur. Cela ne veut pas dire qu'elle en sorte grandie (elle est exubérante, pas vraiment sympathique ). En revanche, il est sans pitié avec l'auteur de Gatsby le Magnifique et de La Fêlure. Scott est jaloux de la beauté de Zelda et de ses possibilités. Il a fait plus que de s'inspirer d'elle dans Tendre est la nuit ; il lui pique sans vergogne ses textes, il vole son journal intime... Zelda a ces mots terribles : « Écrire, je savais et j'ai alimenté tous ses chefs-d'oeuvre, non pas comme muse, non pas comme matière, mais comme nègre involontaire d'un écrivain qui semblait estimer que le contrat de mariage incluait le plagiat de la femme par l'époux. » Un peu plus loin : « (...) La vérité est qu'il s'est servi de mes propres mots, qu'il a pillé mon journal et mes lettres, qu'il a signé de son nom les articles et les nouvelles que seule j'écrivais. La vérité, c'est qu'il m'a volé mon art et persuadée que je n'en avais aucun. » Et Scott à Zelda : « Il me serait égal que tu meures, mais je ne supporterais pas que tu en épouses un autre. »

Lorsqu'elle est sur le point de décrocher un rôle au cinéma, son époux fait capoter le projet. « Il s'est plutôt acharné à griller mes chances », affirme-t-elle. Et cette conclusion : « Cette folie à deux, ce n'était pas de l'amour. » Zelda vivra bien un moment de bonheur - une parenthèse d'un mois dans les bras d'un pilote. Mais c'est tout. Sa fin est à l'image de sa vie : elle meurt brûlée dans l'hôpital psychiatrique où elle soignait sa schizophrénie. Peu importe que ce que raconte Gilles Leroy soit vrai ou tiré de son imagination. Il s'est visiblement beaucoup renseigné, et a humé l'air de l'Alabama. En usant du « je » en lieu et place de Zelda, son roman devient plus puissant que la réalité. Alabama Song démontre, avec brio, la supériorité de la fiction sur le réel, et prouve également que l'on peut s'adresser au plus grand nombre, en gardant une haute exigence littéraire. Les Américains n'ont plus qu'à traduire ce roman.

Alabama Song de Gilles Leroy Mercure de France, 192 p., 15 €.

Mohammed Aïssaoui, Le Figaro, 13 septembre 2007.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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