Eric Neuhoff par Charles Dantzig
Je suis souvent surpris qu’Eric Neuhoff ne soit pas anglais. Il est discret. Il est ironique. Il est civil. Il n’insiste jamais. Je parle de lui, je parle de ses livres. Ils se ressemblent. Ou non? Car enfin, il appelle «Pension alimentaire» roman, mais c’est son propre divorce qu’il nous raconte. Eric Neuhoff fait de l’autofiction! Comme Rousseau, Stendhal, je ne sais pas, moi, Isherwood. La gauche!
Au demeurant, Neuhoff ou son narrateur n’aime pas les mots «pote» et «bouquiner»; la couille d’un personnage dépasse de son short, mais qu’on ne s’attende pas aux essorages habituels du genre. Non, ce roman, car roman il y a, puisque le narrateur travaille dans l’édition et n’est donc pas Neuhoff, lequel a dû modifier bien d’autres choses, est ce que les Anglais appellent une comédie de manières. Quand on dit comédie, c’est par politesse. Une tristesse passe sur ce livre vif et rapide.
La femme du narrateur le quitte pour un publicitaire vulgaire. Neuhoff a réussi son personnage alors qu’il ne l’aime pas, c’est dire s’il est réussi. Il émerge du livre, épais, vautré, pignouf. C’est lors d’un dîner qu’il est apparu. «Pension alimentaire» est le roman des dîners. Il y en a sans cesse, tous plus réjouissants les uns que les autres. On s’en fait un monde, de Montauban à Oulan-Bator, des dîners de Paris (enfin, je présume), ils sortent en morceaux de chez Neuhoff: on sert du surgelé, les blondes boudent, les divorces de Woody Allen sont évoqués avec des arguments de camping. Pourquoi y aller? «On dînait les uns chez les autres, animés par cette certitude amère que le bonheur se cachait ailleurs.» Ah voilà. C’est à Chamfort, autre écrivain de gauche, que ce roman m’a fait penser. «Pension alimentaire» est la promenade nonchalante mais blessée d’un ancien petit garçon qui serre les épaules dans son loden, déçu que la vie n’ait pas été ce qu’il avait rêvé. Et comme on ne dîne pas très bien à Paris, il se prépare d’excellentes comparaisons: les cheveux d’un vieillard «d’un blanc éclatant, exactement le même blanc qu’a la chair des tourteaux», et la Seine «épaisse comme une soupe aux châtaignes». Un livre à lire d’office.
Charles DANTZIG, le Nouvel Observateur, 17 septembre 2007.