Benoît Duteurtre défend Milan Kundera
Mais au fait, quel est l'intérêt de ternir la réputation d'un écrivain comme Milan Kundera, gloire de la culture tchèque, devenu pour l'Occident un symbole de la dissidence ? Là encore, les choses ne sont pas si simples : car Kundera, jeune poète communiste des années cinquante, fut aussi, en 1968, l'un des acteurs de ce « printemps de Prague » qui - faut-il le rappeler ? - prétendait se débarrasser du totalitarisme soviétique… sans abandonner pour autant l'idéal d'un socialisme moderne. Voilà le péché intolérable aux yeux d'une partie de ses compatriotes, passés sans états d'âme dans le camp du capitalisme triomphant (aujourd'hui en débandade) et celui des États-Unis (dont Tchèques et Polonais sont les plus fidèles alliés dans l'ancien bloc soviétique).
Depuis trente ans, ce malentendu perturbe les relations de l'écrivain avec son pays natal, où l'on se plaît à le représenter comme ombrageux et dissimulé. Ses détracteurs jaloux détestent qu'un esprit libre soit devenu le plus célèbre représentant de la littérature centre-européenne sans partager l'enthousiasme de la « nouvelle Europe » néolibérale, ni faire son mea-culpa d'ex-communiste.
Veut-on aujourd'hui le faire à sa place en transformant - par le biais d'un improbable document - le dissident en dénonciateur de dissidents ? L'écrivain discret en salaud dissimulé ? L'hypothèse éclaire d'une lumière différente l'exécution à laquelle semblent vouloir se livrer ses accusateurs.
Benoît Duteurtre, le Figaro 16 octobre 2008.