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8 septembre 2009

Sébastien Lapaque par Patrick Grainville

Les_identit_s_remarquables_Lapaque

On ne connaîtra jamais le nom du personnage central. Sa vie est racontée, commentée par un narrateur qui le tutoie et dont on devine peu à peu l'identité. D'entrée de jeu, notre héros ordinaire, très contemporain, est condamné à mort ! «Il est trop tard, la pièce est jouée, tu es mort.» Mais qui sont les deux jeunes gens lancés dans le projet de cet assassinat ? Un frère et une sœur, nouveaux Oreste et Electre.

Une histoire d'héritage, de vengeance, de spoliation, la faute d'une Clytemnestre au cœur du drame. Le roman de Sébastien Lapaque charrie une foule d'histoires de familles corsées, arborescentes.

Il y a un formidable écart entre la radicalité de Melle Mystère, l'amazone vengeresse, et notre simple professeur de lycée mais héritier cossu, hédoniste, amateur de vins « pointus, fruités, perlés », de poulets à la cocotte, de Bach, sceptique, abonné au néant, volage, amoureux de Caroline puis de Laurence.

Ce qui le rend sympathique, c'est son horreur de la technique, des portables qui cristallisent tous les creux de notre société, la vacuité vulgaire de ses messages. L'incapacité d'attendre dans le silence. D'écrire longuement.

Le chant de nostalgie d'Apollinaire

Le type est sans doute un peu lâche. Il a effacé un peu trop vite de sa mémoire une certaine photographie de famille pleine de secret. Il a noué une complicité avec Laroque, autre professeur, d'origine ouvrière, lui, plus scintillant, dandy, métaphysicien au débotté, curieux, aimant les bars, les bistrots mal famés où la vie grouille, écrivain embryonnaire, érudit initié au mystère du rosaire, du foot et de la boxe ! La Trinité ! «Son mépris a rendu ton chagrin plus intelligent, ton chagrin plus sensible son mépris.» Ils sont quand même particuliers les profs de Lapaque, pas vraiment syndiqués, il a fourré en eux à la fois des foucades, une ou deux ferveurs qui lui sont propres et pas mal de travers qu'il abhorre.

La belle personne du roman serait Caroline, jolie, naturelle, avide de tout connaître, d'aimer, de s'envoler à Paris. Notre personnage est d'abord épris d'elle : «Votre histoire est soyeuse comme le chant d'un guerrier dans la nuit.» Étonnante comparaison ! Sébastien Lapaque a un lien avec la chose militaire. Son héros très velléitaire a rêvé d'être légionnaire. Il aurait voulu être Alexandre possédant « l'armement, le mouvement, le moral», équipé pour l'épopée, quoi ! Mais le monde ancien est bien mort. On entend parfois chez Lapaque le chant de nostalgie d'Apollinaire, surtout dans cette forme choisie du tutoiement lancinant : «C'est le dernier printemps de ta vie, sans que tu le saches.»

La tragédie antique va-t-elle rattraper l'épicurien végétatif ? Un carnage d'Atrides dans la fonction publique ? Cela se passe dans une contrée tauromachique, oui, au bord de l'Adour où percent des consonances d'audace et d'amour dont nous ne recueillons aujourd'hui que des rogatons.

Voilà un roman riche, mêlé, polyphonique, bigarré de strates, de secrets, moiré de paradoxes et de causticité où Sébastien Lapaque pose la seule question terrible qui tenaille : «Qu'as-tu fais de ta vie ?»

Les Identités remarquables de Sébastien Lapaque, Actes Sud.

Patrick Grainville, Le Figaro, 3 septembre 2009.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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