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17 septembre 2009

Simon Liberati par Christian Authier

«L'Hyper-Justine» de Simon Liberati - L'auteur d'«Anthologie des apparitions» signe un roman virtuose et envoûtant où le vice se mêle à la vertu.

Après un premier roman à la beauté magnétique, Anthologie des apparitions, à la rentrée 2004, suivi en 2007 par l'impressionnant Nada exist où l'ombre de Huysmans venait se poser sur des personnages très contemporains, L'Hyper-Justine prolonge de manière brillante l'univers baroque de Simon Liberati : kaléidoscope d'êtres étranges, de ­fan­tômes, de souvenirs tranchants errant dans une réalité coton­neuse.

Décembre 2007 : voici Pierre al-Hamdi, petit escroc roulant en Rolls orange, qui traîne dans les beaux quartiers de Paris à la recherche d'une proie. Cela pourrait être ce couple qu'il vient d'aborder dans un bar si la vision d'une jeune Anglaise prénommée Justine, aperçue quelques minutes plus tôt à un balcon de la rue de Castiglione, ne hantait son esprit. D'ailleurs, dans les propos de ses nouveaux amis, il est question de L'Hyper-Justine, un projet de film de Sofia Coppola (dont Pierre fut le chauffeur et garde du corps un été à Tanger) sur lequel travaille ­Thérèse Legros, « star mondiale de l'art ». De son vrai nom Marie-Thérèse Adélaïde Atalante de ­Vermandois, celle-ci, âgée de 71 ans et frappée de la maladie d'Alzheimer, règne sur une sorte de ménagerie située rue de Castiglione et composée d'enfants perdus, d'ogres et de sorcières.

Vérités et mensonges

Avec effroi, Pierre se rend compte que le scénario du film s'inspire de l'assassinat de sa mère, prostituée de luxe, trente ans plus tôt au Yémen. L'explication de ce mauvais rêve se trouve peut-être chez ­Thérèse…

Avec maestria, Liberati égrène les signes et les petits cailloux d'un récit qui révèle, sans dissiper la part de mystère, les liens secrets de destinées déchirées entre la grâce et la damnation. Il nous fait entendre « la voix du vice ou de la folie qui s'amuse à dire la vérité », comme par exemple auprès de Grisélidis, amputée d'un auriculaire, portant le scapulaire de la chouannerie, dont le corps androgyne et anorexique ne dit pas si elle a quatorze ou vingt-huit ans. Mais c'est Thérèse, avec ses jeux sadomasochistes et sa mémoire brouillée, qui détient les clés de ce huis clos nocturne au-dessus duquel flottent des réminiscences de 1789, de l'épuration ou des Phalanges libanaises.

Consommant les gens « sans économie, sans réserve, sans espoir de durée », Pierre est cependant de ceux qui sont traumatisés par la moindre séparation, déchirement que Liberati traduit dans une langue envoûtante : « Sentant la silhouette assombrie près de lui s'enfuir en elle-même avant que le vent de la nuit l'emporte à jamais, il regardait tour à tour l'horloge orange du tableau de bord et la roue bloquée du Moulin Rouge, sur la place Blanche. L'une le rassurait, l'autre l'inquiétait, l'une lui disait la vérité, l'autre des mensonges, mais laquelle ? Autour d'eux, le paysage avait changé. De la Madeleine, ils étaient remontés vers le nord de Paris, vers ces zones où Pierre avait ses ­quartiers d'hiver. D'autres habitudes que les nouvelles, plus anciennes, plus tristes. » On aimerait qu'un Lynch, un Polanski ou un De Palma en pleine forme s'empare de ce roman virtuose détruisant le commerce des apparences pour atteindre le précis de l'artiste « où l'énergie vitale est si forte qu'elle peut ­trimbaler toute une armure de casseroles mythologiques, le name­-dropping d'obscurs personnages de la fable et de demi-dieux, l'érudition, les citations incessantes d'œuvres antérieures n'étant pas assez lourdes pour ralentir l'action, la circulation des sangs  ».

Christian Authier, Le Figaro 10 septembre 2009.

Commentaires
B
SIMON LIBERATI PASSEUR DE LA PAROLE LACANIENNE<br /> <br /> C’est un vrai conte de Noël pour adultes. Style délicieux, vocabulaire original décrivant élégamment des sex toys inédits. Intrigue mettant en haleine et où finalement, le bien triomphe alors que le mal est terrassé. Le tout dans une grâce libertine, éloignée des bons sentiments habituels de la littérature française. Grâce parfumée d’eau sauvage avec laquelle les scènes les plus obscènes deviennent envoûtantes sous la plume de Simon Libérati.<br /> <br /> Conte de Noël, nimbé de la parole de Jacques Lacan : « Le désir de l’homme, c’est le désir de l’autre ». Alors, la parole de Noël, c’est bien celle qui repère le désir d’autrui, et s’y conforme le mieux possible. Derrière la demande explicite, celle d’un bonbon, par exemple, « se cache chez l’enfant, une vraie demande d’amour et c’est l’ignorance qui n’est pas pardonnée. » (Lacan) <br /> <br /> Livre de morale : Un homme, Pierre, à la fin d’une nuit de débauche salvatrice, renonce à Satan. Sacrée soirée pourtant ! Apparition romantique de Justine sur un balcon de la rue de Castiglione. Coup de foudre peu sadien. Jeu de piste dans Paris-Pervers à la recherche de sa mère. Jeu de cartes avec Sofia Coppola. Rencontre de Thérèse, femme désirable et perverse, double de lui-même. Réapparition de Justine. L’aventurier, un fou génial, violent et sadique, connaît la rédemption au petit matin, après une nuit cathartique se terminant par son renoncement à Satan. Thérèse et Justine, ont reconnu en lui leur maître, elles se sont offertes à lui ; nouveau parangon de vertu, il a refusé les deux diablesses. Histoire la plus morale de l’année. Simon Libérati, en démonologue avisé a délivré du pêché, le personnage littéraire le plus noir, de tous les livres publiés depuis un an.<br /> <br /> UNE NUIT DANS PARIS-PERVERS : <br /> <br /> Nuit dans Paris-Pervers, à la recherche de Thérèse, ancienne fille de chez Madame Claude, dont Pierre attend des révélations sur la mort de sa propre mère, assassinée au Yémen, après avoir servi d’appât sexuel lors d’un coup d’Etat. Thérèse a vendu l’histoire de sa mère pour le scénario d’un film de Sofia Coppola. Fureur de Pierre.<br /> <br /> Thérèse et Justine vivent ensemble, rue de Castiglione : information recueillie, lors d’une Folle nuit, dans le Paris sado-maso du triangle la Madeleine- Pigalle- Place Vendôme. Délire sexuel dans un restaurant clandestin où, des créatures interlopes servent dans des assiettes en carton, du caviar arrosé de Ricard pour quelques milliers d’Euros. Rencontre avec Grisélidis, amputée d’un doigt, conservé comme une relique dans le scapulaire de Thérèse. Grisélidis accuse son ex-maîtresse : « une trafiquante de chair humaine », insérant dans les objets<br /> d’art qu’elle fabrique et vend, des doigts et des clitoris (page281)<br /> <br /> Fin de la nuit avec Thérèse, Justine et Sofia Coppola. Thérèse répète : « J’ai toujours voulu être aimée ». Est-elle vraiment la mère de Pierre comme elle le prétend ? Va-t-il coucher avec elle ou bien demander Justine en mariage ? Questions fantasmatiques d’un livre dont, la dernière page ne donne pas de réponses aux interrogations de l’orphelin oedipien. Pierre renonce-t-il à Satan et à ses œuvres ? Je le pense. Il y a du démonologue chez Libérati . <br /> <br /> UN UNIVERS NEO-LACANIEN UNIQUE DANS SON GENRE :<br /> <br /> Un grand écrivain se construit toujours un univers spécifique. Simon Libérati est un grand. Son univers, « Morbid Chic », est néo-lacanien, bohème moderne, dans la continuité de Jean Lorrain, ce « fanfaron du vice » comme l’appelait Rachilde. Pierre est un personnage de Jean Lorrain. A la fois fou et génie, il s’impose avec vice et violence dans tout ce que Paris vomit de déchets humains.<br /> <br /> L’univers de Libérati n’est pas aussi étouffant que chez ses illustres prédécesseurs des années folles. Néo-lacanien, Libérati travaille sur le ressenti et l’expression du DESIR de ses personnages, alors que chez Lorrain, à l’instar de Georges Eckhoud en Belgique et Oscar Wilde en Angleterre, il est surtout question d’assouvir un BESOIN, au bras de vieilles artistes ou de jeunes dindes.<br /> <br /> L’univers de Libérati est constellé des étoiles d’une galaxie rare en littérature, celle de la DEMANDE, dont il rappelle qu’elle est d’abord une demande d’amour implicite ou explicite : «J’ai toujours voulu être aimée » répète Thérèse <br /> <br /> L’univers décadent de Libérati, est peuplé de princes et princesses du vice, continuateurs des personnages du « Monsieur Vénus » de Rachilde, œuvre à scandale datant de plus de cent ans. Dans l’expression du vice, Libérati éprouve le besoin d’être rétro. Sa Thérèse ressemble à s’y méprendre à ce Monsieur Vénus, femme éprise d’un jeune fleuriste. Thérèse, femme de 71 ans, comme Vénus, apporte à ses tendrons de 18 ans, une jouissance nimbée d’humiliations, sans cesse réclamées par des victimes en MANQUE A ETRE, victimes heureuses du renversement de rôles qui leur est imposé, devenant hommes et leurs amants, Thérèse ou Vénus, devenant femmes. Avec sa Thérèse, Libérati s’offre une créature possiblement suivie en analyse par JACQUES LACAN, présenté sous le pseudonyme d’un certain Docteur Ferdière qui la convainquit qu’elle était « une bonne mère pour ses poupées ». (page 275)<br /> <br /> <br /> <br /> UN UNIVERS DE JOUISSANCE :<br /> <br /> L’univers de Libérati est imprégné de celui de Rachilde, « La Marquise de Sade », comme on disait à la fin du XIX ème, mais aussi du Satiricon de Petrone, où il retrouve une jouissance perverse propre à tous les temps, prolongement pour lui de son immoralité joyeuse des années 1973.<br /> <br /> Libérati évolue dans cet univers, depuis sa première lecture de Sade à 13 ans, ça l’a marqué, même si, 40 ans après, la Justine de Sade est plus proche de la Comtesse de Ségur que son Hyper-Justine. Chez le divin marquis, il n’est question que de jeunes aristocrates, férus de Sénèque, taquinant des soubrettes, pendant que leurs cousines, en déshabillé limite Watteau se font trousser par des palefreniers virils, ensuite marqués au fer rouge. <br /> <br /> UN UNIVERS VIOLENT :<br /> <br /> Univers d’une violence extrême. On se croit dans un film de Quentin Tarentino. Intrigue magnifiant la femme. Libérati écrit : « en vieillissant, les hommes deviennent plus lourds, moins inquiets, de plus en plus bêtes. Il s’agit d’une prise de poids moral, bien plus destructrice que la graisse » (page 47) <br /> A l’instar du cinéaste, chantre du « Girl power », le livre vante les qualités féminines. Dames et demoiselles, de 85 à 17 ans, s’expriment sur le sexe d’une façon très crue, et ça, pour Libérati, c’est une qualité. Jusque là, rien de grave, pas de quoi avaler un herbicide.<br /> <br /> UN UNIVERS FETICHISTE :<br /> <br /> Avec l’Univers du fétichisme, ça se corse. Libérati va plus loin que Tarentino dont on connaît le penchant pour le pied féminin. Dans « Une nuit en enfer » il boit du whisky sur les pieds de Salma Hayek.<br /> <br /> Les fondamentaux de Libérati procèdent de ce cinéma là, de films comme « les damnés » d’Helmut Berger. Thème récurrent : le mal est désirable. Et nous voilà propulsés par Libérati dans l’Univers morbid chic , celui où le mal est désirable. Concept exclusivement Liberatien que ce morbid chic. Pour bien comprendre , j’ai étudié la mode des bottes. Le concept aurait surgi de la marque morbid chic, avec des bottes de cuir gothiques, pourvues de nombreuses sangles et d’un talon en métal. Elles sont destinées, nous annonce la publicité de Spartoo.com, à toutes celles qui ont le diable au corps. Et c’est ainsi que Justine, en fin de livre, à la page 328, « jeune éléphante de dix-sept ans et d’un mètre soixante dix sept », se dépouille de ses bottes très talonnées. Sens du détail de Libérati : « elle dut se pencher, se coincer son talon de quinze dans les balustres, s’y reprendre à plusieurs fois ». Sans ses bottes, elle n’est plus morbid chic, elle redevient une petite Juliette pour un Pierre-Roméo.<br /> <br /> L’UNIVERS DE LA GRACE PARISIENNE ET CYNIQUE :<br /> <br /> Où sommes-nous ? Rue de Castiglione, dans le temple de la grâce parisienne et cynique. Chez Marie-Thérèse Adélaïde Atalante de Vermandois, dite Thérèse Legros, le nom de mémère, sa nourrice lubrique. Snobisme à rebours, elle se fait appeler Thérèse Legros, alors qu’elle est une star mondiale de l’art. Vanity Fair est sur place pour un portrait de Thérèse, propriétaire de l’hôtel particulier de Marie-Laure de Noailles et de collections de Niki de Saint Phalle.<br /> Sofia Coppola passe presque inaperçue parmi une cohorte de lesbiennes antédiluviennes et de chipies bavardes et droguées, ça papote derrière des paravents peints par José-Maria-Sert. <br /> <br /> LA MORALE DE L’HISTOIRE :<br /> <br /> L’objet du désir pervers, l’objet a de Jacques Lacan, celui où l’Autre (avec un grand A) et son désir propre sont méconnus, cet objet là est subtilement démasqué par l’ouvrage (références nombreuses à ces concepts lacaniens, notamment, page 286).<br /> <br /> Les bottes morbid chic, difficilement délacées par Hyper-Justine, représentent cet objet a, l’objet du désir pervers. Pierre refuse Justine, ne voulant pas réduire la personne de Justine à ces bottes, objets très partiels (a). Il fait effort pour imaginer quel est le désir profond de Justine, cherche chez elle, l’Autre (avec un grand A).<br /> <br /> Voilà donc Pierre débarrassé du désir pervers, capable, au-delà des besoins sexuels, de comprendre la problématique de désir de ses partenaires à travers leur demande, d’appréhender le manque à être des plus malheureux.
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  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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