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Propos insignifiants
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19 janvier 2010

Un ruban noué autour d'une bombe

Dès qu'elle peut se lever, avec une soif de vivre à la mesure de ses longs mois d'immobilité, Frida fréquente le milieu artistique. Elle va y rencontrer Diego Rivera, le plus célèbre des peintres muralistes mexicains, un géant de 2 mètres et de 120 kilos, surnommé « le Picasso du Nouveau Monde ». Il est d'une fascinante laideur, elle est d'une étrange beauté. Il est célèbre, elle débute. Il a 43 ans, elle en a 22. Ils vont se marier en 1929. Drôle de couple : elle l'adorait, il la trompait, il s'excusait, elle se vengeait. Ils divorcèrent, ils se remarièrent. Ils étaient inséparables. Ils s'aimaient.

Ensemble, ils s'installent dans la maison d'enfance de Frida, la Casa Azul. Pendant deux ans, ils vont y accueillir Trotski, en exil. En 1938, ils reçoivent André Breton, envoyé par le Quai d'Orsay pour une tournée de conférences au Mexique. Le pape du surréalisme est ébloui par l'œuvre de Frida, qu'il invite à venir exposer à Paris. Elle n'y sera pas heureuse, mais l'exposition sera un vrai succès d'estime : elle fait la connaissance de Paul Eluard et de Max Ernst, Kandinsky se dit «touché aux larmes» par son œuvre, Yves Tanguy et Joan Miró sont enthousiastes, Picasso, en signe d'amitié, lui offre une paire de boucles d'oreilles en ivoire. Frida refuse pourtant d'adhérer au groupe surréaliste et de suivre les diktats d'André Breton : «Je n'ai jamais peint mes rêves, dit-elle, j'ai peint ma réalité.»

En 1939, Frida et Diego divorcent, pour se remarier l'année suivante : séparations, trahisons réciproques, orages, rien ne parviendra à les arracher l'un à l'autre pendant vingt-neuf ans de tempête. Il y a les jours heureux, où Frida surmonte la douleur, et puis les nuits interminables, où elle souffre « comme une bête ». Durant toutes ces années, tantôt elle se peint en déesse inca, les cheveux nattés, ornés de fleurs et de rubans, le regard flamboyant, tantôt elle raconte presque naïvement, à la manière d'un ex-voto, les blessures de son corps brisé. Elle boit beaucoup, de plus en plus, du cognac, deux litres par jour : on retrouve les bouteilles vides au pied de son lit. Elle mélange l'alcool à ses médicaments, puis à la morphine. Son médecin lui en a prescrit pour soulager ses douleurs, mais elle double, triple les doses. Elle peint moins, elle a le geste moins sûr, mais elle poursuit son journal, où elle parle d'art, d'amour, de politique, de sexualité, de la vie. Plus d'un demi-siècle après sa mort, le charme envoûtant de son œuvre, qui est aussi celui de son poignant journal, opère toujours. Un charme bien cerné par André Breton, qui comparait l'œuvre de Frida à «un ruban noué autour d'une bombe».

Le Figaro Magazine, 15janvier 2010.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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