J'enrageais d'avoir attendu si longtemps pour découvrir ces merveilles
Au début des années soixante, le seul fait de penser que je puisse un jour devenir écrivain avait quelque chose d'invraisemblable. Je n'avais pas les moyens matériels; je vivais dans une toute petite chambre en sous-location et je n'avais personne à qui dire que je voulais écrire un roman. La littérature de l'époque était victime de la censure stalinienne. Un jour, j'ai eu entre les mains La Mort à Venise, de Thomas Mann, et un petit livre jaune, L'Étranger, de Camus, dont je ne connaissais pas même le nom. Ce livre, j'en suis devenu esclave ! Et puis, j'ai découvert à la fin des années soixante Kafka, dont je relis ces jours-ci Le Procès. C'est l'écrivain du moindre détail; un tel géant ! Tout comme Flaubert: L'Éducation sentimentale est en tête de mes romans préférés. J'enrageais d'avoir attendu si longtemps pour découvrir ces merveilles. Je me disais: c'est ça, la littérature. Quelque chose que je pensais ne jamais pouvoir atteindre. Je vivais dans un sentiment d'infériorité perpétuelle.
Imre Kertész, dans le Figaro,14/10/2010.