Je me suis revu tout petit, à 5 ans, apprenant à lire
J'étais extraordinairement surpris. Je n'en revenais pas, j'étais presque confus ! Et puis très vite, dès que la nouvelle a été officialisée, le grand cirque a commencé, une véritable folie, un vertige : les téléphones ont sonné dans tous les sens, des gens ont commencé à arriver de partout, la famille, les amis, à tel point que je ne savais plus qui j'étais !
J'ai réfléchi ensuite à la manière dont tout cela avait commencé : je me suis revu tout petit, à 5 ans, apprenant à lire, en Bolivie, et comment la lecture, cette chose formidable, magique, avait bouleversé ma vie et l'avait enrichie. J'ai songé à ma mère, une grande lectrice, qui n'a jamais cessé de m'encourager et qui serait si contente aujourd'hui si elle était encore vivante. J'ai repensé à mes années de jeunesse, difficiles, à l'académie militaire, quand j'ai découvert que je voulais être écrivain, que je voulais consacrer ma vie à l'écriture, que je voulais vivre de ma plume, ce qui semblait totalement impossible, surtout au Pérou, où la littérature est considérée comme un hobby, un passe-temps pour les jours fériés pluvieux. J'ai aussi pensé à un oncle, Luis Lucho, un homme merveilleux qui m'a poussé à suivre ma vocation, à m'engager et qui me disait que, si je ne le faisais pas, je serais malheureux toute ma vie. Deux noms encore : Carlos Battal, mon premier éditeur espagnol, qui brava la censure franquiste pour publier La Ville et les Chiens, mon premier roman, et mon agent littéraire, Carmen Barcells, qui a tant fait pour moi. Et puis, j'ai tout simplement pensé à la littérature, à cette vocation merveilleuse, à cette récompense extraordinaire, à qui je dois les meilleurs moments de ma vie, qui m'a fait rêver et m'a apporté tant de plaisirs. Et à la chance que j'ai eue, celle de pouvoir m'y consacrer chaque jour.
Mario Vargas LLosa dans Le Monde, 14/10/2010.