Mais souviens-toi aussi, jeune homme, que tu n’es pas le premier à être seul, si seul
«Mais souviens-toi aussi, jeune homme, que tu n’es pas le premier à être seul, si seul», écrit Fitzgerald en 1934 pour conclure son introduction à une nouvelle édition de Gatsby. Il doit décrire son malheur pour faire comprendre comment il a «été contraint de prendre une mesure que personne n’adopte volontairement : j’ai été conduit à penser. Mon Dieu ! que c’était difficile ! Le déplacement des grandes malles pleines de secrets». On trouvera dans Un livre à soi un portrait de l’artiste en alcoolique, en client d’hôtel, en lots de vente aux enchères qui sont autant de brèves autobiographies sous des perspectives différentes (mais guère opposées). «La vie, il y a dix ans, était en grande partie une affaire personnelle», écrit-il aussi dans «Craquer». A la fin de ce texte, il y a une citation de l’Evangile selon saint Matthieu : «Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ?» Fitzgerald vit et écrit dans la déperdition permanente comme s’il n’arrivait plus à tirer la moindre satisfaction de la répétition. Celle-ci est un des thèmes de «la Mort de mon père». Fitzgerald écrit comment, à 7 ans, pour se racheter, il demanda à son père de lui raconter une des trois seules histoires que celui-ci lui racontait immanquablement. Puis il s’adresse aux lecteurs. «Vous voulez les entendre ? J’en suis tellement lassé que je ne peux pas les rendre intéressantes. Mais peut-être qu’elles le sont parce que j’avais l’habitude de demander à mon père de les raconter encore, et encore, et encore.»
Libération, 10 mars 2011