Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Propos insignifiants
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 196 534
8 novembre 2012

Essence et existence

Il y a un mois, Jérôme Ferrari tournait en rond devant les étagères vides de son appartement d'Abu Dhabi. Seule une quinte de livres avait passé la frontière. Il en restait encore 7 mètres cubes en rade à Marseille. Il les avait rangés sur le comptoir de sa cuisine américaine : deux, trois Dostoïevski, un David Vann, et Notre Jeunesse de Charles Péguy. Son attachée de presse venait de lui envoyer un message, pour lui dire qu'il était sur la deuxième liste du Goncourt. Les élèves de philo du lycée français apostrophaient alors leur professeur : « Monsieur Ferrari, il parait que vous avez gagné un concours ? » Jérôme Ferrari se protégeait, avec son air de chien battu : « Ce prix, j'aimerais bien dire que je n'y pense pas, que ça m'indiffère, mais ce serait faux. »

Désormais, le prix Goncourt lui a été décerné, c'est une réalité, il a une essence et une existence, pour reprendre le cours qu'il faisait en octobre à ses terminales L. Et grande est la joie de la critique de Télérama, qui suivait Jérôme Ferrari depuis longtemps, remuée par la poigne et la profondeur de cet auteur enfin appelé à rencontrer le grand public. Les romans de Jérôme Ferrari ne sont jamais des pavés, juste des opuscules nourrissants, où la jeunesse crie toujours sa lucidité, face à la mort qui la regarde. Il faut lire Un Dieu, un animal, concerto pour deux voix brisées par toutes les guerres que nous sommes contraints de mener. Et Où j'ai laissé mon âme, sur la guerre d'Algérie, où l'on trouve des phrases de ce type, qui ouvrent des abîmes et rendent l'intelligence plus aigue : « ils ne pleuraient pas, ils ne suppliaient pas, il n'y avait plus en eux ni désir ni révolte, et ils basculaient sans un cri dans la fosse commune, ils tombaient vers la mer dans une longue chute silencieuse (…) ils me rendaient mon regard, ils voyaient mon visage et leurs yeux étaient vides, je m'en souviens très bien, on n'y trouvait aucune trace de haine, aucun jugement, aucune nostalgie, on n'y trouvait plus rien si ce n'est peut-être la paix et le soulagement d'être enfin libérés car grâce à nous, mon capitaine, aucun d'eux ne pouvait plus ignorer que le corps est un tombeau. »

http://www.telerama.fr/livre/jerome-ferrari-l-exile-couronne,89262.php

Le Goncourt ? Télérama l'accorderait volontiers au romancier Jérôme Ferrari...

Télérama, 7 novembre 2011.

 

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog