Un roman bdsm toujours accompagné !
Les éditions JC Lattès ne m’ont pas envoyé le séminal et sulfureux roman phénomène de l’Anglaise E.L. James, Cinquante Nuances de Grey. Probable que l’attachée de presse est une jeune femme. Elle se sera dit : "Pivot est maintenant trop âgé pour lire une œuvre aussi sexuellement provocatrice. Il risquerait un infarctus ou une rupture d’anévrisme. Je ne veux pas prendre la responsabilité de sa mort, la tête piquée dans le premier volume de FiftyShades" Louable intention, gentille précaution, mais parfaitement inutiles. J’ai lu et je vais très bien. Je n’ai pas reçu non plus Dans ma bouche, du critique gastronomique François Simon, dont je vois dans les gazettes que ses recettes de chambre sont chaudes et épicées. Existe-t-il une conjuration des attachées de presse des maisons d’édition pour me préserver de toute lecture qui, affolant ma libido, me serait fatale?
J’ai donc acheté Cinquante Nuances de Grey dans une librairie. J’ai remarqué le manège des clients des deux sexes : ils se présentaient à la caisse avec d’autres livres que celui d’E.L. James. Un Camus ou un Houellebecq en poche, la Pléiade d’Aragon ou de Fitzgerald, le Deville, le Ferrari, l’Échenoz, le Jardin… Toujours accompagné, le roman sadomaso de la popote Anglaise! Non seulement son extraordinaire succès enchante les libraires, mais, comme les acheteurs ne veulent pas donner le sentiment qu’ils ne sont venus que pour lui, il pousse à l’acquisition d’autres livres. Thank you, madam!
Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche, 11 novembre 2012.