Mais je n'aurais pas éprouvé le besoin de tenir mon journal intime
Oui, la solitude, le silence, l'ennui des journées trop longues, le tête-à-tête avec moi-même. Je n'avais ni téléviseur, ni ordinateur, ni téléphone mobile, ni tablette. Pour exprimer mes passions, je n'avais qu'un crayon et du papier blanc. Ce fut une époque douloureuse, mais féconde. Ces années d'une rébellion clandestine qui ne se manifestait que dans mon carnet noir furent celles où prit forme mon destin d'écrivain. Si j'avais disposé des instruments qui aujourd'hui permettent à un garçon de seize ans de se désennuyer, de se distraire, de sans cesse s'exprimer sur les réseaux sociaux et les sites, de converser avec des inconnus devenus aussitôt des amis, de se confier à eux, j'aurais été sans doute plus heureux, mais je n'aurais pas éprouvé le besoin de tenir mon journal intime, il mio caro diario.
Gabriel Matzneff, Le Figaro, 18 avril 2013.