Tous les "je" que l'on emprunte
Finalement, vous aussi, vous êtes un peu un espion.
Ce n'est pas faux. Mes personnages se ressemblent souvent : ils connaissent des successions d'échecs et de succès, ils perdent tout, ils changent d'identité. Comme un espion. Comme un écrivain. La vie d'un espion ressemble beaucoup à celle d'un écrivain. Nous observons sans cesse, nous notons tout, même les détails les plus insignifiants. L'entraînement d'un écrivain est le même que celui d'un espion - ou presque. Mais pour nous, c'est seulement un moyen de gagner notre vie. Alors que, pour un espion, c'est le seul moyen de rester en vie.
L'identité, est-ce finalement la somme de tous les "je" que l'on emprunte ?
Beaucoup de gens savent d'où ils viennent, moi non. Je ne peux pas dire que je viens d'Ecosse comme mes parents. Ni que je viens du Ghana même si j'y ai vécu dix ans et que cela fait partie de moi... C'est une question à laquelle je n'ai pas trop envie de répondre, en fait. Sinon je risque de perdre mon inspiration. C'est finalement peut-être le sujet de tous mes romans. Même à Londres, je me sens un peu à part. C'est peut-être mieux pour un romancier. On observe plus objectivement le monde. C'est sans doute cela qui fait le tempo de mes romans, l'instabilité de mes personnages. Je suis très attiré par des écrivains comme Valery Larbaud, Lawrence Durrell, Cyril Connelly. Ces esprits-là m'attirent, ce sont des esprits qui aiment le mouvement.
William Boyd, le Monde, 16 février 2007.