Mais il fut privé de cette vengeance
En juin 1999, alors qu'il se promenait le long d'une route de l'Etat du Maine, Stephen King, l'homme qui avait réinventé le fantastique à la fin des années 1970, l'auteur de Carrie, Shining et Misery, le phénomène éditorial aux 350 millions d'exemplaires vendus, fut heurté par un van - le conducteur, distrait par son chien, ne l'avait pas vu. Deux décennies plus tôt, King avait écrit Cujo, un roman sur un chien enragé menaçant une mère et son fils retranchés dans leur voiture, ainsi qu'un autre roman, Christine, dont l'héroïne était une Plymouth Fury 58 aimant écraser les gens. Transporté à l'hôpital, King, qui n'avait cessé, à travers son oeuvre, d'exprimer sa peur des blessures et des mutilations, apprit qu'outre son scalp lacéré et sa hanche brisée il souffrait de fractures aux jambes si graves qu'une amputation serait peut-être nécessaire.
Ce ne fut heureusement pas le cas, mais l'accident laissa des traces. Ayant découvert que le van qui l'avait renversé risquait d'être vendu sur eBay, King demanda à ses avocats de le racheter pour pouvoir le détruire lui-même, plus tard, à coups de battes de base-ball. Mais il fut privé de cette vengeance, et il n'est pas exclu que son travail en ait souffert : dans plusieurs de ses romans des années 2000 - en particulier Dreamcatcher et Cellulaire -, on perçoit une sorte de discordance qui est peut-être l'écho symbolique de cette rage inassouvie.
Ce n'est pas le cas de Dôme, énorme roman en deux volumes où l'auteur retrouve la narration ample, sereine et la communion avec les personnages, qui ont toujours été ses points forts.
Le Monde, 3/3/2011.