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8 octobre 2004

Le loup des steppes

Le Loup des steppes
de Hermann Hesse

Par Clémence Boulouque
[07 octobre 2004] Le Figaro littéraire

L'oeuvre de Hermann Hesse fut le bréviaire d'une génération hippy avec Siddharta et ses pentes bouddhistes, ou encore Le Jeu des perles de verre, roman d'anticipation et critique d'une société occidentale empêtrée dans son confort mortifère. Parce qu'elle a été happée de la sorte, sa prose a été doucement reléguée au rang d'écrits baignés de spiritualité de consommation courante, sorte de prêt-à-penser qui aurait vieilli comme les longues jupes de la collection Woodstock. La nouvelle traduction du Loup des steppes est, aujourd'hui, l'occasion de redécouvrir ce texte et cet auteur, figé par de telles classifications, et de l'en libérer.

Né allemand en 1877, devenu suisse en 1923 et décédé à Lugano en 1962, le romancier, farouche pacifiste et opposant au nazisme, qui s'est exilé sans rejeter l'Allemagne ni s'exonérer de son malheur ou de ses crimes, a été un témoin lucide, créateur droit et digne, récompensé par le prix Nobel de littérature en 1946.

Destiné à la prêtrise par ses parents, le jeune Hermann Hesse fait, lui, voeu d'écriture, s'enfuit du séminaire à l'âge de 15 ans, et, après quelques saisons de petits métiers et de tentatives poétiques mal sevrées de romantisme, gagne une reconnaissance littéraire à 27 ans, avec son roman Peter Camenzind. Le héros, qui donne son titre au livre, est un jeune montagnard, quittant les paysages de son enfance pour la ville, qui s'arrache de la nature sans savoir ce qui l'attend au juste, et découvre des citadins aux âmes percluses d'indéchiffrables souffrances. Livre «très important à mes yeux», selon les mots de Freud, il prend l'empreinte des névroses de toute une génération aux idéaux inassouvis, grondants, car demeurés informulés. Affleure dans ces pages cette dualité déchirée, qu'il sonde dans son oeuvre, et ce dès Gertrude, en 1910.

Son inlassable dénonciation des flambées de haine lors des deux guerres mondiales fait de lui une autorité morale à l'image de Romain Rolland, André Gide ou de Stefan Zweig. Avec ceux-là, il partage, dans de riches échanges épistolaires, les heurts et désespoirs des idéalistes, observateurs en marge d'un monde qui se déchire. Lecteur du Déclin de l'Occident, de Spengler, il quête d'autres sagesses, regarde vers l'Asie, que son ascendance lui rend proche : sa mère est née en Inde, d'un père missionnaire et éminent orientaliste. Les mystiques de ses textes, à l'exemple de Demian dans le roman éponyme, errent et rejettent une certaine société matérialiste tout comme Harry Haller, le héros du Loup des steppes, paru en 1927.

Ce personnage d'âge mûr, absorbé par d'obscures activités littéraires, s'installe dans une ville anonyme. Là, dans ses carnets, il consigne toutes ses dissonances : sa distance envers la société matérialiste se heurte à son goût pour un confort bourgeois, dans un mélange d'aboulie et de détermination à n'en plus finir. «Un loup des steppes égaré chez nous, dans les villes où les gens mènent une existence de troupeau ; aucune image ne pouvait représenter de façon plus pertinente l'homme, son isolement farouche, son caractère sauvage, son anxiété, sa nostalgie d'une patrie perdue.»

L'esthète ascète et stérile, sorte de célibataire de l'art, décide de fixer la date de son suicide pour échapper aux personnalités qu'il renferme, inconciliables et dévorantes. Il rencontre alors une prostituée qui moque la vanité de ses prétentions, tente de réconcilier ses contraires, et de le guider vers des vérités charnelles et spirituelles moins manichéennes. L'issue des conflits qui fauchent Haller reste incertaine : le romancier choisit l'ellipse. «Le Loup des steppes m'a réappris à lire», s'enflamme son ami Thomas Mann dans une lettre à l'auteur de 1928.

En effet, le texte mêle des tonalités et des registres très différents – journal d'Haller, souvenirs du narrateur, réalisme dans la description des bourgeois intérieurs astiqués ou dans la vie nocturne et interlope, onirisme d'un final qui explose comme un tableau de George Grosz. Si certaines envolées existentielles apparaissent flétries par le temps, ou adolescentes, elles ont, presque toujours, quelque chose de volutes de fumées opiacées, une sorte d'irréalité, un déni toujours proche : «Vous devez saisir la part d'humour que recèle l'existence ; sa part d'humour noir», conseille Mozart à Haller, dans le final halluciné du livre.

De ses déchirements, Hermann Hesse a tissé son oeuvre, d'autres y ont perdu la vie. Ainsi qu'il l'écrit au père d'un jeune homme qui se suicida après avoir lu Le Loup des steppes, «il ne suffit pas de souligner le peu de valeur que l'on attache à des choses telles que la guerre, la technique, la passion de l'argent, le nationalisme, etc. Il faut pouvoir remplacer le culte des idoles contemporaines par une croyance». Celle de Hermann Hesse avait, sans doute, pour nom : littérature....

A noter, la réédition de Demian dans la Cosmopolite (Stock) et, cet automne, de Peter Camenzind et de L'Ornière chez Calmann-Lévy.

Commentaires
D
Merci à tous les deux pour votre intervention.
A
Pour ma part je recommande "Demian" de H.H
B
Je peux difficilement parler de Hermann Hesse tant son oeuvre riche et diversifié m'est trop méconnu. J'ai été attiré par H.H. surtout pour ses écrits "orientaux", notamment Siddharta que tu cites. Et en complément de cette période "philosophie orientale" (comme un précurseur de l'insertion du zen chez les occidentaux), je pourrai conseiller "Le Voyage en Orient".<br /> <br /> « L’amitié et la confiance que j’implorais humblement, Léo ne semblait pas les accorder seulement à ce chien Necker, mais à chaque animal, à chaque goutte de pluie, à chaque parcelle de terre qu’il foulait ; il paraissait constamment s’offrir, vivre sans cesse dans une intimité palpitante avec son entourage, connaître tout, être connu, aimé de tous. »
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  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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