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Propos insignifiants
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15 novembre 2004

La vache

GENNADI GOR
Au kolkhoze perdu

Par Astrid DE LARMINAT
[12 novembre 2004]

Le Figaro littéraire

D'emblée le titre de ce livre singulier sur la dékoulakisation, premier roman resté inédit jusqu'en 2001, de Guennadi Gor, un des auteurs officiels de l'URSS, déroute. L'invocation du paisible bovidé procède-t-elle d'un parti pris naturaliste dicté par la doctrine du réalisme socialisme, ou bien d'une franche autodérision ?

Du début à la fin de ce conte mi-philosophique mi-soviétique, on se demande si c'est du lard ou du cochon... Son auteur ne s'y est pas trompé. Jusqu'à sa mort, redoutant les foudres du parti, il prétendit qu'il en avait égaré le manuscrit. Un peu d'histoire : Guennadi Gor participa activement aux recherches artistiques et littéraires des années 20, et l'écho de ses réflexions émaille La Vache qu'il écrivit en 1930. L'année précédente, Staline avait décidé d'intensifier la lutte contre les koulaks, ces fameux paysans aisés qui furent en conséquence déportés par millions, pour accélérer la collectivisation. En même temps, le petit père des peuples imposait le réalisme socialiste comme esthétique officielle. Il fallait terrer La Vache, qui risquait de valoir à son auteur d'être accusé de formalisme !

De fait, cela ressemble plus à un tableau qu'à une histoire, celui d'un kolkhoze qui cherche son essor. D'un chapitre à l'autre, l'artiste modifie son point de vue, déconstruisant l'image précédente, accentuant les contours, ou les brouillant à son gré. Il enfile les saynètes – l'étable, la cuisine, le champ, le bureau d'inscription – comme des perles d'enfant. D'où l'impression que l'on a entre les mains un livre d'images un peu naïves dont le rythme et la mélodie répétitive – la traduction est remarquable – n'est pas sans rappeler les contes populaires russes.

Ici comme là, il y a les bons kolkhoziens et les méchants koulaks ; pas réellement de personnages, mais des types. Et la fable qui a la raideur charmante des premiers films d'animation. Le trait est-il forcé pour simplifier le message à l'attention d'un public paysan. Ou bien pour outrer le propos au point qu'un esprit averti ne s'y trompe point ?

Le lyrisme que l'on remarque est propre à la littérature messianique et à l'utopie : «On eût dit que l'herbe était pliée en deux, que les bâtiments rigolaient, que la terre riait d'une bouche large comme le ciel...» Au point que la lutte des classes prend soudain l'allure d'un jeu de quilles, et le kolkhoze celle d'un camp de scouts. Le texte, là encore, oscille entre incantation et burlesque. Certaines envolées ayant d'ailleurs des accents qui rappellent Ionesco : «Le koulak entre dans la bergerie où les moutons se fondent avec le fourrage. Dans l'étable, les veaux se fondent avec le fumier, le fumier avec les bâtiments de la ferme, les bâtiments avec le koulak...»

Entre les lignes, se glissent, mine de rien, des questions sur l'art et la réalité, le mot et la chose, la création et l'action, l'oeuvre et la vie, la théorie et la pratique. Blanc bonnet ou bonnet blanc ? L'auteur évite de trancher, laissant la porte ouverte à toute interprétation. Une des réponses, sous forme de vérité historique, se trouve dans le recueil de lettres de koulaks publiées par les éditions Verdier, Nous autres paysans....

La Vache
de Guennadi Gor
traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard
Noir sur Blanc, 150 p., 13 €.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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