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7 janvier 2005

Marcel Schwob

Domaine public
Marcel Schwob ou le mensonge greffé sur le réel

par Jean Dutourd de l'Académie française
[06 janvier 2005]


Vies imaginaires, de Marcel Schwob, Flammarion, 205 p., 7,10 €.   

Le Figaro littéraire

On a de la peine à croire que Marcel Schwob soit mort à 38 ans. Son oeuvre est celle d'un vieil artiste très savant, d'un philosophe, d'une sorte de Borgès français, pleine de choses bizarres et qui paraissent d'autant plus vraies qu'elles portent sur des détails recueillis dans la réalité. Ou inventés.

Malgré le peu de temps qu'il vécut, Schwob tient (et a tenu de son vivant) une place importante dans la vie littéraire française. Il était l'époux d'une actrice en vogue et qui l'est restée jusqu'à l'extrême vieillesse, Marguerite Moreno, et le cousin de Léon Cahun, auteur de La Bannière bleue, l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature enfantine du XIXe siècle.

Rémy de Gourmont, dans le Livre des masques, lui consacre tout un chapitre, duquel il ressort que Marcel Schwob exerçait une vraie fascination sur la pensée de son temps, comme Borgès justement, et que les lecteurs se penchaient avec curiosité sur ses écrits. Et cela ne l'empêchait pas, à l'occasion, de sacrifier à une verve caustique et satirique. Témoin son «traité du journalisme», Moeurs des Diurnales, qui a plus de cent ans aujourd'hui, et qui n'est presque pas démodé.

La grande pensée de Marcel Schwob est que «l'art est à l'opposé des idées générales, ne décrit que l'individuel, ne désire que l'unique. Il ne classe pas, il déclasse». En d'autres termes, ce qui confère de la valeur à un portrait, ce n'est pas le modèle, mais l'art du peintre, ou plus exactement la capacité de celui-ci à discerner ce qui est spécifique de celui-là, et qui fait qu'il ne ressemble à personne. D'où l'admiration qu'il porte à John Aubrey, sorte de Tallemant britannique qui, composant la biographie de Hobbes, note que ce philosophe était chauve, ce qui le gênait car les mouches venaient se poser sur son crâne. Les deux autres admirations de Schwob sont Holbein et Hokusaï.

Les Vies imaginaires sont de courts récits. Gourmont dit que le génie particulier de Schwob est «une sorte de facilité effroyablement complexe». Effectivement, tout a l'air si vrai, rapporté avec tant d'économie et de sérieux que le lecteur éprouve quelque difficulté à démêler dans ses récits le réel du possible. On peut penser que parmi ses admirations devait figurer l'historien latin Suétone, qui a recueilli les plus étranges manies ou folies des 12 Césars. Marcel Schwob a raconté, à demi inventé, 24 vies imaginaires. Cela commence par la plus lointaine Antiquité, avec Empédocle, qui avait des sandales de bronze, et Erostrate, qui mit le feu au temple de Vénus, à Ephèse. Il y a aussi un curieux philosophe cynique nommé Cratès, une «matrone impudique», Pétrone enfin, dont on apprend qu'il ne s'est pas ouvert les veines dans son bain. Le Moyen Âge n'est pas moins bien représenté avec l'immonde Nicolas Loyseleur, le règne élisabéthain avec Cyril Tourneur, la flibuste avec un pirate amateur, le major Stede Bonnet , et, enfin, le XIXe siècle avec deux assassins dignes de Quincey.

Tout compte fait, si Marcel Schwob peut se réclamer d'un peintre, ce serait plutôt de Gustave Moreau que de Holbein. Il y a chez Moreau, comme chez lui, le mélange du réel et de l'imaginaire, encore que Moreau, si je puis dire, peigne ses tableaux avec une profusion d'adjectifs et d'adverbes, tandis que Schwob arrive à la poésie par le dépouillement total du style....

Commentaires
A
Puisque tu parles de peintres, le chapitre qui me semble le plus réussi est celui sur Uccello.
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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