La douleur du dollar
Ames prudes s'abstenir! Non seulement le sexe est omniprésent dans ce dernier roman de Zoé Valdès, mais en plus il l'est de manière crue, parfois obscène. Dans les vingt-cinq premières pages, l'héroïne, Cuca Martinez, manque de se faire violer avant d'assister malgré elle à deux scènes de sodomie et de cunnilingus. Pourtant, quelques fautes de goût mises à part, ce quatrième livre confirme le talent de la romancière cubaine, son sens inné du picaresque et son irrésistible gouaille.
Dans une Havane superbement décrite à coups de parfums et de couleurs, de danses moites et de regards échauffés, de voix alcoolisées et d'effluves de viande de porc rôtie, Cuca Martinez est l'une de ces nombreuses jeunes paysannes sans le sou venues tenter leur chance. En fait de glamour et d'amour, elle finit, comme les autres, bonne à tout faire. Jusqu'au jour où l'homme de sa vie apparaît, «l'haleine chargée d'un relent de dent cariée mélangé à une odeur d'oignon». Quant à ses yeux, ils sont «aussi clairs que le ciel, que n'importe quel ciel, on ne va pas se mettre à décrire un ciel spécifique». Bien des années plus tard, ce même homme la quitte alors qu'elle est enceinte et lui glissant un billet d'un dollar dans la main... On le voit, Zoé Valdès manie la dérision avec bonheur, y compris quand elle décrit, plus gravement, la pénurie, les tickets de rationnement, le marché noir et, en guise de seul bien, une certaine dignité, même si, souligne-t-elle, «la dignité ne se mange pas».
Isabelle Fiemeyer (la Douleur du dollar)
Lire, septembre 1997