Une absurdité récurrente

Vous avez écrit récemment un article pour répondre à l'écrivain V.S. Naipaul, qui affirmait que le roman était mort. Ce n'est pas la première fois que vous vous élevez contre cette idée...

Exact, Naipaul est un imbécile. Si la fiction était morte, comment expliquer le fait que les gens continuent d'acheter et de lire des romans ? Dire que le roman est mort, c'est un raccourci que j'ai toujours trouvé complètement inutile, et même parfaitement stupide. Tom Wolfe disait la même chose il y a vingt ans, et il écrit toujours des romans... Bien sûr que la fiction n'est pas remplaçable par du reportage, par des infos, par des images en direct, par des articles de quotidiens ! La fiction, les romans, ont un avantage énorme : ils construisent des mythes, ils réinventent des images, et c'est de ça que les gens se souviennent ensuite. Si on cherche à se représenter les années 1920, on ne va pas aller regarder des photos d'archives, on relira plutôt Gatsby le magnifique. Si Tom Wolfe est emblématique des années 1980, c'est parce qu'il a écrit Le Bûcher des vanités. C'est un roman qui a posé certaines choses une fois pour toute, qui les a inscrites dans les mémoires, mieux que ne le fera jamais un reportage. La fiction a ce pouvoir de personnifier les choses, de les rendre réelles, de les mettre à portée de main. Du coup, dire que le roman est mort est une absurdité totale. Une absurdité récurrente, d'ailleurs : régulièrement, tous les cinq ans à peu près, quelqu'un se sent obligé d'y aller de son commentaire sur le sujet. C'est pathétique.

Jay McInerney, Chronic'Art, avril 2007.