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Propos insignifiants
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26 juin 2008

Il faut quand même baiser le lecteur, hein, sinon, il n’y a pas de catharsis

Elle, Frédérique Audoin-Rouzeau, vient d’écrire son onzième roman. En trois semaines, comme les précédents. Au premier jour d’écriture, elle n’a aucun scénario en tête. Juste une scène initiale, surgie au hasard de l’une de ses digressions mentales et devenue brusquement incontournable. Et puis l’identité de l’assassin, tout de même. « Il faut quand même baiser le lecteur, hein, sinon, il n’y a pas de catharsis. »

Pour ces basses oeuvres : quelques centaines de pages dans lesquelles il convient de relier le point A-la scène-au point B-l’assassin-en empruntant bien sûr des chemins de traverse. Alors, elle s’enfonce à l’aveugle, lance des pistes contradictoires, fait surgir au fil de la plume des intrigues parallèles en espérant, sans trop y croire, retomber sur ses pieds. C’est acrobatique et très, très angoissant. « Quand je lis dans la presse que mes romans sont "diaboliquement construits", je me marre ! Moi-même j’ai peur, en écrivant, de me paumer dans la forêt, dit-elle. Jusqu’à maintenant, à raison d’un ou deux coups de bol par page, j’ai toujours retrouvé mon chemin. »

Dans « Un lieu incertain », la forêt est particulièrement dense et les sentiers buissonniers innombrables. Mais Vargas a le don des personnages à tiroirs, des figures doubles, invraisemblables et géniales, qui rattrapent par quelques trouvailles langagières les petites incohérences narratives. Aux côtés d’Adamsberg : un flic qui s’exprime en alexandrins, un adjoint alcoolique au savoir encyclopédique, un aristo ostéopathe, vaguement médium. Et aux côtés de Vargas : un fils de 20 ans qui trouve un malin plaisir, lorsque sa mère écrit, à inventer tout haut les critiques négatives que l’écrivain redoute. « Vargas se répète », « Cette fois, Vargas tourne en rond ». Elle rit mais est persuadée que le monstre médiatique, qui lui a toujours été favorable, se retournera un beau jour contre son auteur fétiche. « Je m’y attends, ça ne peut pas être autrement, et ce ne sera pas grave. » Une seule critique assassine en vingt ans : elle a pleuré et renié aussitôt le roman visé, pourtant aussi jouissif que les autres. Alors, évidemment, on ne croit pas une seconde à sa placidité. Le don d’indifférence, c’est bon pour Adamsberg. Dans la vraie vie, on peut être une « pelleteuse de nuages » et se ronger les ongles.

« Un lieu incertain », de Fred Vargas (Viviane Hamy).

Le Point, 19 juin 2008.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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