Un écrivain est d'abord un lecteur
C'est une réflexion de Borges qui revient avec entêtement : "Que d'autres se flattent des livres qu'ils ont écrits, moi, je suis fier de ceux que j'ai lus." Elle rappelle qu'un écrivain est d'abord un lecteur et que rien ne révèle sa générosité comme sa capacité à nous faire découvrir d'autres livres à travers le sien. Le crû 2009 n'y fait pas exception : on y trouve des livres pleins de livres. Gardons-nous d'y voir une carence de l'imagination. (...)
Tous autant qu'ils sont, ils donnent envie de poursuivre. Ils sont tous dans l'attitude du Stefan Zweig de Trois maîtres (1919) lorsqu'il nous parlait d'un ton aussi intime qu'étincelant de Balzac, Dostoïevski, Dickens ; il ne s'agissait pas d'une introduction à leur monde mais, à partir d'une profonde imprégnation, de procéder par raccourci en s'employant à "sublimer, condenser, concentrer". Ce qui ne va pas de soi dans la création artistique où la plus orgueilleuse des solitudes n'incline pas à se mettre au service d'un autre pour sa plus grande gloire. Il y a quelque chose de l'ordre de la gratitude dans ce renvoi à d'autres que soi. Michel Déon leur a adressé de vibrantes Lettres de château qui lancent toutes un même "Merci pour ces enchantements !" Louons donc ces écrivains-lecteurs qui nous parlent de livres que nous croyons connaître et nous les révèlent autres que les savions.
Pierre Assouline, Le Monde, 25 septembre 2009.