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Propos insignifiants
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3 novembre 2004

Pleine lune

"Tout est identique, maintenant plus que jamais, jusqu'au bruit des pas sur le gravier et le verre cassé des bouteilles de bière, tout est impérieux, proche, irrépressible, ne souffrant ni retard ni secret, jusqu'à la lune qui est la même, haut dans le ciel, sa forme blanche légèrement voilée par à des nuages légers comme du tulle, les deux mains déjà impatientes qui cherchent, exigent, l'odeur des pins , de la terre et des aiguilles trempées, le même replat sur la pente où il la jette d'une seule gifle, le visage plus pâle que la lune, maintenant éclairé par elle seule, sur lequel il voit soudain, pendant quelques secondes, de façon parfaitement claire, le visage double et répété, la bouche ouverte, le menton qui tremble, les yeux de terreur et d'incrédulité de l'autre fille, ce visage que lui seul au monde a vu.

Cette odeur toujours sur ses mains, cette odeur dont il s'étonne que personne ne semble la remarquer, encore que peut être par dégoût ils fassent semblant et ne disent rien, comme lui-même si souvent dissimule, souriant au-dehors et mort de dégoût et de rage au dedans, oui madame, et ça sera quoi aujourd'hui pour madame, vous faut-il autre chose, tu peux bien pourrir et crever. Le jour, quand les vieux sont debout, il sort de sa chambre avec des précautions d'invité furtif et il s'enferme dans la salle de bains, il ferme le verrou, comme autrefois, il y a dix ou douze ans, quand il s'enfermait pour ses premières branlettes, pour se regarder faire comme si c'était quelque chose de prodigieux et de menaçant, se dressant pour lui tout seul, rougissant, avec cette fente comme un oeuil vide, et ensuite l'odeur qui envahissait tout, aussi dénonciatrice et clandestine que la fumée nauséabonde des premières cigarettes. Il devait se laver les mains avec un savon très fort, il les frottait tellement qu'elles restaient rouges, mais au moins à l'époque c'étaient des mains plus fines, mais pourtant plus des mains d'enfant, des mains d' étudiant, de fils à papa sans durillons, sans les ongles cassés et sales, comme maintenant avec toujours cette ligne noire et, il semble qu'il n'y a plus rien à faire pour la faire partir."

Antonio Munoz-Molina, Pleine lune.

Merci à Martine D qui m'a permis de découvrir cet écrivain.

Commentaires
S
Cet auteur prodigieux et d'une richesse tant du langage que de profondeur humaine mérite d'être bien davantage connu.
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
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