Des histoires interminables
Mon frère et moi couchions dans la même chambre. Aussitôt la lumière éteinte, je me forçais à combattre l'emprise de la nuit et du sommeil, chute sans ivresse dans un monde où le rêve ne m'aidait pas à survivre, en racontant interminablement, d'une voix chuchotée, pressante, des histoires qui le tenaient éveillé. J'avais dressé les cartes d'un continent inconnu entouré d'océans étranges, de pays toujours en guerre les uns contre les autres et de villes enfouies sous la terre ou mues dans les airs. Je les peuplais de minéraux et de végétaux doués d'une vie propre, de héros éternellement morts, mais toujours ressuscités. Mes pouvoirs d'invention étaient sans cesse accrus par la peur que mon frère ne s'endormît et ne m'abandonnât à mon sort. Je devenais ainsi conteur à ma façon, de nouvelles mine et une nuits.
Extrait d'un texte de jean-Edern Hallier, Tel Quel novembre 1960, Le Journal de la Culture juillet-août 2005.