Parisianisme honteux par Patrick Besson
Tout le monde a le droit de dire du bien de sa ville sauf les Parisiens. Du reste, l'écrivain parisien est aussi mal vu en librairie que l'automobiliste immatriculé 75 sur l'autoroute. Le lecteur - surtout le lecteur parisien ! - lui préfère le prosateur béglais, l'autofictionneur montpelliérin, le poète briançonnais et le chroniqueur niçois. Paris n'est pas une capitale mais une tare. On vit tellement mieux, selon les journaux, à Grenoble, Biarritz, Nancy, où sais-je encore. Nantes, tiens. La fête ? C'est Marseille ! Le mot parisianisme est devenu aussi péjoratif que celui de communisme. Ou de fascisme. Le Parisien, pour une grande partie de l'opinion publique française, est un être fat et méprisant, incapable d'art comme de générosité, qui commet le crime d'élever ses enfants dans la pollution et la délinquance régnant à Paris. Et pourtant, quand je débouche à pied de la rue Aristide-Briand, traverse le boulevard Saint-Germain et m'engage sur le quai Anatole-France, ces insultes et ces calomnies s'envolent de mon coeur. Devant moi, de l'autre côté de la Seine, la place de la Concorde. A droite, le Louvre. Encore plus loin à droite, la Sainte-Chapelle et Notre-Dame. Et là, j'ai cette pensée satanique : putain, que c'est bon de ne pas habiter Toulouse. Ou Brest !
Les éditions Chronique se trouvent au numéro 24 de l'avenue Freycinet, à Trélissac (24750). Ça ne les empêche pas de publier, dans leur collection « Chroniques des métropoles », un Paris signé Jean des Cars. Il faut applaudir ce fair-play. Guy des Cars est devenu richissime en écrivant sur les pauvres et les malades, son fils Jean a dépensé tout l'argent dans les palaces et les trains de nuit, sur lesquels il a fini par faire des livres. Guy et Jean sont ensemble dans le « Quid ». J'aurais bien aimé être dans le « Quid » avec mon père. Ou mes fils. Bientôt, Justine Lévy y sera avec BHL comme Yann Queffélec y est avec Henri et Antoine Audouard avec Yvan.
Je me souviens du pamphlet-confessions de Guy des Cars : « J'ose ». Chez Stock, peut-être ? Jean ose aussi. Il ose faire, chez Chronique, un album sur l'histoire de Paris depuis 4200 avant J.-C. jusqu'au 27 juillet 2003, jour de la victoire du centième tour de France par l'Américain Lance Armstrong, dont la photo termine l'ouvrage, ce qui fera plaisir à l'ambassadeur américain. Comme Alexandre Dumas, mais non Alexandre Dumas fils, il a eu des collaborateurs : Magalie Guilpain, Monique des Cars et Michel Marmin. Impossible, évidemment, de résumer ces 235 grandes pages, toutes illustrées avec soin (iconographie : Thierry Etévé).
Je me suis surtout penché sur le Paris du Moyen Age parce que j'écris un roman sur les croisades : Saint-Sépulcre ! Pas toutes les croisades : la première, la septième et la huitième. Ce sont les mieux. De toute façon, les autres, je n'y comprends rien. J'ai un faible pour Philippe Auguste. Un jour, son médecin lui demande de boire autant d'eau que de vin. Le roi exige qu'on les lui serve séparément. Après avoir bu son gobelet de vin, il prend le gobelet d'eau, puis le repose et dit à son médecin : « Je n'ai plus soif ! » C'est la seule histoire drôle que je connaisse. Le gentil roi, qui avant de quitter Paris pense à lui faire une ceinture de chasteté de remparts, pour que pendant son absence personne ne la lui prenne ! 2,5 kilomètres sur la rive gauche, 2,6 kilomètres sur la rive droite. En 1193, Philippe épouse une Danoise - Ingeburge, soeur du roi Knout - et, après leur nuit de noces, n'a plus jamais voulu la voir, ni lui parler, ni parler d'elle avec quelqu'un. Il n'a jamais dit pourquoi. C'est peut-être ça, l'explication de la gentillesse des femmes scandinaves envers les hommes français : elles veulent se faire pardonner. Mais de quoi ?
© le point 18/03/04 - N°1644 - Page 123 - 634 mots