On préfère toujours une belle histoire avec du sens
Paris, Théâtre de l’Odéon, 3 mars. Le cheveu blanc et ras, une barbe soignée de philosophe romain, à la Marc Aurèle, Russell Banks lit des extraits de son nouveau roman, « La réserve » (1), en plissant les yeux comme un archer mongol. La salle est remplie jusqu’aux corbeilles. Depuis une dizaine d’années, les Français sont tombés amoureux de cet auteur qui réconcilie la politique et le roman, la littérature et l’émotion, l’aventure et les idées. C’est ici qu’il a le plus de lecteurs, hors l’Amérique. Depuis janvier, Russell Banks publie dans La Montagne une chronique sur les élections américaines. Avant tout le monde, il a prédit l’avènement de Barack Obama dans l’opinion démocrate. Il croit à ses chances : « Quoi qu’il advienne, il est celui qui a ressuscité auprès des nouvelles générations, fatiguées de Bush, la volonté d’agir sur leur destin. »
Né en 1940 dans une famille pauvre, Russell Banks ne se définit pas lui-même comme un écrivain engagé. En revanche, les héros de ses romans le sont avec ardeur, de l’abolitionniste John Brown dans « Pourfendeur de nuages » à Hannah Musgrave dans « American Darling » et jusqu’à Jordan Groves, peintre célèbre et aviateur qui se bat aux côtés des Républicains espagnols dans « La réserve ». Russell Banks est un homme lucide, passionné, sensible, critique de l’Amérique sans céder au nihilisme, curieux de l’Europe et du monde, comme l’ont été autrefois Hemingway ou Dos Passos. Est-ce cela qui plaît aux Français, qui, s’ils professent une révérence pour Faulkner, préfèrent toujours une belle histoire avec du sens, à la Steinbeck ?
Le Point, 13 mars 2008.