Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Propos insignifiants
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 196 538
3 novembre 2008

Récit né d'une colère

Ce récit est né d'une colère : Atiq Rahimi a été marqué par l'assassinat d'une poétesse afghane par son mari. Personne n'a rien trouvé à redire dans ce pays où l'on peut échanger sa fille contre une dette de jeu. Alors, l'auteur a décidé de donner la parole à une femme. Syngué sabour est une confession, les mots révèlent un emprisonnement, une révolte contenue qui peut s'exprimer enfin - mais seulement dans le silence des hommes. « Tu ne m'as jamais écoutée, tu ne m'as jamais entendue ! », lance-t-elle au moribond, avec lequel elle est mariée depuis dix ans, pour moins de trois de vie commune. Parce que c'est un soldat en guerre : « Le Héros ! Et, comme tous les héros, absent ! » Elle parle d'honneur, la belle affaire que l'honneur, pense-t-elle.

Pour elle, ce sentiment - masculin - rime avec malheur. Elle ose évoquer le sexe, qui n'est jamais lié au plaisir, plutôt un instrument de domination, de vengeance, ou l'expression d'une honte. On comprend ce que signifie Syngué sabour au milieu du récit : une pierre magique qui écoute et à qui l'on peut confier ses secrets et ses malheurs. Ici, le mari mourant jouant ce rôle. Si le contenu est fort, l'écriture, simple et poétique, ajoute à la densité. Tout cela donne au lecteur l'impression d'assister à un huis clos où l'on entend jusqu'aux respirations. Quelle pièce de théâtre ferait ce texte !

À quarante-sept ans, Atiq Rahimi, tient une place singu­lière. Né à Kaboul, en Afghanistan, il est obligé de fuir son pays et demande l'asile politique à la France. En 2000, son premier roman Terre et cendres (P.O.L) est un succès critique et public. Ce livre relate, à travers le regard d'un enfant qui devient sourd, l'Afghanistan envahi par l'Union soviétique. On y lit une phrase terrible : « Les morts sont plus heureux que les vivants. » Cinéaste, il l'adapte lui-même pour le grand écran. Le film est sélectionné à Cannes en 2004, et reçoit le prix du regard vers l'avenir. Ce livre, comme les deux suivants, était traduit du persan. Syngué sabour est écrit en français. C'est par cette langue que la femme s'exprime, qu'elle se libère petit à petit d'un carcan. Existe-t-il plus belle déclaration d'amour à la langue française ?

Syngué sabour, pierre de patience d'Atiq Rahimi P.O.L, 156 p., 15 €.

Le Figaro, 30 octobre 2008.

Commentaires
Propos insignifiants
  • Promenade buissonnière parmi les livres et les écrivains, avec parfois quelques détours. Pas d'exhaustivité, pas d'ordre, pas de régularité, une sorte de collage aussi. Les mots ne sont les miens, je les collectionne.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog