Continuer à cheminer librement
Il y a dix ans, Gabriel Osmonde publia un roman qui attira l'attention. Manifestement, le livre était celui d'un écrivain chevronné, mais l'auteur refusait de se montrer. Les critiques littéraires, intrigués, lancèrent des hypothèses. Était-ce Pierre-Jean Remy, Michel Déon ou Didier van Cauwelaert qui jouait à cache-cache? On évoqua même le nom de Nancy Huston. Le mystérieux auteur récidiva, publia des romans où il était question de la misère sexuelle contemporaine, de la vanité du jeu social, de chercher l'au-delà ici-bas. Mais il persistait à garder son masque.
Gabriel Osmonde vient de publier son quatrième ouvrage. Cette fois, il fallait en avoir le cœur net. Nous avons demandé à le rencontrer. Contre toute attente, il a accepté. Et c'est l'homme que l'on connaît sous le nom d'Andreï Makine qui s'est présenté. Ainsi, le romancier d'origine russe qui avait réussi l'exploit en 1995 d'obtenir deux grands prix au cours de la même saison, le Goncourt et le Médicis, pour Le Testament français, menait une double vie littéraire. Dans l'ombre, il élaborait une œuvre souterraine, et subversive.
D'emblée, celui qui a publié il y a deux mois encore un très beau roman, Le Livre des brèves amours éternelles (Seuil), précise: «Makine n'est pas mon vrai nom.» Quitte à déconcerter ses admirateurs, il insiste: «Osmonde est plus profondément ancré en moi que Makine.»
Pourquoi ce romancier célèbre a-t-il décidé d'écrire dans l'anonymat? Il répond avec la gravité qu'on lui connaît: «Rester dans la posture d'un nanti de la littérature ne m'intéressait pas. J'ai voulu créer quelqu'un qui vive à l'écart du brouhaha du monde.» Changer de nom lui permet de «continuer à cheminer librement»: «Osmonde m'a permis d'aller plus loin, d'élargir le champ des questions, jusqu'à l'ineffable.» Sous ce pseudonyme bizarre mais qui en dit long sur lui - le prénom d'un ange, messager de Dieu, et un nom fangeux où l'on entend les mots os, osmose, monde, immonde - il plonge dans l'infra et le suprasensible, à la recherche de l'âme cachée des choses. «Pour lire les romans d'Osmonde, il faut avoir un cœur bien accroché, des nerfs à toute épreuve, une intelligence solide.» C'est lui-même qui le dit .
Le Figaro, 30 mars 2011.