Parce qu'il frappe juste
Repris en poche, Après l'histoire s'impose aujourd'hui comme un des maîtres livres de langue française parus dans les dernières années du XX è siècle. Comment ce discours critique, résolument marginal à ses débuts, a-t-il réussi à s'ouvrir une route, loin des plateaux de télévision, du consentement des flics payés à la ligne et de la servitude généralisée ? Grâce à une fureur de grand style. Devenu l'accusateur d'un monde où partout le centre part à l'assaut de la périphérie, les élites se révoltent contre le peuple et la commande sociale règle les discours dissidents, Philippe Muray n'a pas reconcé un instant à l'ambition esthétique de ses jeunes années. Critique, son propos est resté lyrique. Ainsi sa charge joyeuse contre l'"Empire du Bien" est-elle cousue des digressions enragées, des néologismes féroces et des images irrésistibles qui distinguent l'écrivain des journalistes. Au coeur du champ de bataille, on retrouve sans cesse la figure burlesque d'Homo festivus, façon de consommateur-paneliste de toutes les aberrations de l'époque : la "festivisation généralisée", la "provocation en paquet-cadeau", la "subversion sous subvention", le "terrorrisme du coeur", la "bonne parole caoutchouteuse", etc. Il faut lire Muray comme on lit Swift ou Rabelais. Parce que c'est drôle, parce que c'est grand. Et qu'il frappe juste.
Sébastien Lapaque, Le Figaro, 21 juin 2007.